Le retentissement du succès des prévisions de Halley, affinées par Clairaut (Messier retrouva la comète dès le mois de septembre 1758), fut considérable. Il assit définitivement la théorie de la gravitation universelle et la mécanique selon Newton. Il démystifia définitivement les comètes dont la masse insignifiante ne présente aucun danger pour notre Terre. les dimensions du noyau solide sont extrêmement réduites avec une extension considérable de la chevelure qui l’entoure et de la queue qui s’oriente à l’opposée du Soleil. On peut considérer que les légendes et les propriétés fantaisistes attribuées aux comètes cessèrent d’être prises au sérieux dès le milieu du XVIIIème siècle.
Pourtant, en 1910, le retour de la comète de Halley engendra à nouveau l’inquiétude. En effet la Terre passerait dans la queue cométaire… à condition qu’elle soit assez longue, assez droite et assez large. La nature physique de cette queue, la dimension des particules et les propriétés des gaz qui la constituent étaient mal connus au début du vingtième siècle. Selon leur tempérament les uns se virent « criblés » de météoroïdes telles des projectiles de mitrailleuse, les autres « immergés » dans une haleine méphitique et mortelle. En effet, l’astrophysique est déjà en mesure de montrer l’association comètes – queues de comètes – étoiles filantes et de préciser les premiers composants identifiés dans les chevelures. En 1868, Huggins confirme une observation de Donati faite en 1864 et identifie la molécule de Carbone C2 (bande de Swan). En 1881 Huggins et Draper découvrent le radical CN (cyanogène) et en 1907 on découvre le CO+. Lorsqu’on les interroge à la veille du retour de 1910, les astronomes sont naïvement fiers de présenter les progrès remarquables qu’ils ont accompli quant à la connaissance de la nature chimique des comètes. La presse a vite fait d’amplifier la nouvelle: lorsque notre Terre sera au plus proche de la comète et qu’elle sera frôlée par sa queue, l’atmosphère sera empoisonnée par des gaz mortels. Le radical CN devient du « cyanure » poison bien connu et CO+ devient les non moins dangereux anhydride carbonique et oxyde de carbone.
Il importait peu que la Terre traverserait la queue à plus de 25 millions de kilomètres du noyau (soit soixante fois la distance de la Lune) : les queues des comètes s’étendent en effet bien plus loin dans l’espace. On ignorait la courbure de la queue (qui ferait passer la Terre… à côté) et la très faible densité du milieu caudal (mille molécules au centimètre cube).
Le 19 mai 1910 marquerait la fin d’un monde… et de nombreuses illusions. Attisé par le besoin de sensation qui fait acheter le papier journal (on dirait aujourd’hui « un scoop »)… « la peur de la comète, évidente et avouée dans le menu peuple… » exprime une dépêche en provenance de Turin. Une autre de Rome: « les confesseurs sont surchargés de besogne… » … « Place Saint Pierre est envahie de deux à quatre heures du matin par une véritable foule… » … « l’approche de la comète trouble considérablement les chinois qui craignent qu’elle ne soit le signe précurseur d’une grave crise nationale » rapporte l’Agence Reuter (En effet, l’Empire s’effondre). A Mannheim, un violent orage déclanche « une panique inouïe », mais à New York, « tout est à la comète, les chapeaux, les cravattes, les bijoux… des prix fantastiques ont été payés pour retenir pendant la nuit du 18 au 19 mai les toits de la plupart des immeubles… les fabricants de produits chimiques sont débordés de commandes de ballonnets d’oxygène pour ceux qui redoutent les gaz délétères ». A Cologne, « ce sera une réédition des fêtes de Carnaval, on organise une fête de la comète » (autant mourir en festoyant !). A Liège, « les opticiens ont dû faire fortune… » et, à huit jours des élections générales, la très benoîte « Gazette de Liège » s’illustre par une exploitation politique éhontée des évènements: « vite, une dernière bonne œuvre: donnez largement aux collecteurs du Denier des Ecoles catholiques… » [[On consultera avec profit l’article de H. Dupuis dans Ciel et Terre, vol. 101, pp. 217-220, 1985: « 1910: on se suicide, on fait la fête… mais on est surtout déçu ». ]].
Tout est prétexte à exploitation, ce n’est pas l’armada des vols charter, les voyages touristiques éclairs à Ténériffe ou à la Réunion, l’édition fébrile d’une littérature abondante et coûteuse, les déclarations des astrologues (Gémeaux, attention !) et la vente impénitente de télescopes ou de jumelles qui feront du passage au périhélie de 1986 une exception à la règle !
On doit à Gassendi (1592-1656) une saine formulation du problème: « Oui les comètes sont réellement effrayantes… mais par notre sottise ». A ce rationalisme incisif ajoutons une pensée plus pragmatique du prince des humanistes: « Plût à Dieu, que les guerres n’eussent d’autres causes que la bile des souverains échauffée par quelque comète! Un habile médecin, avec quelques doses de rhubarbe ramènerait bientôt les douceurs de la paix ».