1983 – 6(1)

Le principe des masses polaires n’est pas nouveau. Il a été employé dés 1856 par Werner von Siemens pour une magnéto qui fut la première à posséder un induit formé d’une seule bobine. C’est la fameuse bobine navette constituée par un solénoïde dont le bobinage était encastré dans deux profondes rainures longitudinales ménagées dans le noyau de fer doux. C’est déjà la préfiguration du bobinage de Hafner Alteneck pour la firme Siemens et Helske en 1873. L’induit navette était étroitement enveloppé par des masses polaires cylindriques prolongeant les branches de l’aimant permanent.

Fig. 4. – L’induit
«navette» de Siemens, 1856.

Cette dynamo Siemens a eu à l’époque une certaine réputation et il ne fait pas de doute que Gramme en ait eu connaissance sinon directement, du moins par le cercle de techniciens qui se rencontraient chez Rouart. Il faut remarquer que Gramme n’a probablement acquis sa connaissance du mouvement de recherche concernant les machines magnétoélectriques, alors assez vif depuis le début des années 1860, uniquement par l’observation directe des objets existant et par la transmission orale. Une presse spécialisée n’a commencé à paraître qu’en 1879 avec La Lumière électrique. Mais « les choses se savaient ». Et elles allaient vite. En 1864 l’Anglais Henry Wilde est passé tout juste à côté de la dynamo. Il a remplacé les aimants permanents de l’inducteur par des électroaimants qu’il alimentait en courant par une petite dynamo Siemens placée sur le dessus de la machine. Les deux induits étaient entraînés chacun par une courroie passant sur le même arbre de la machine à vapeur.

D’ailleurs le problème est serré de plus en plus près par plusieurs constructeurs. En 1867, plusieurs d’entre eux, Wheaststone, Siemens, Varley décrivent, chacun séparément, des dynamos dont les inducteurs à bobine sont autoexcités par le courant de l’induit. Ils avaient d’abord repris le système de Wilde avec l’excitation par une dynamo auxiliaire Siemens, mais seulement pour le démarrage. Il semble bien que Siemens lui-même ait constaté le premier que l’excitation de démarrage pouvait être fournie par le magnétisme rémanent du noyau des électros de l’inducteur. Mais initialement la première excitation ne pouvait être obtenue que par la magnéto auxiliaire. Puis l’Anglais William Ladd approcha encore de plus près la solution du démarrage constatant que l’excitation initiale était inutile, le magnétisme naturel du fer doux suffisant à l’excitation des bobines dès la première opération.

Déjà l’Italien Pacinotti a dépassé tout le monde. Il a construit en 1861 la première dynamo comportant tous les éléments qui figureront dans celle que Gramme concevra dix ans plus tard. L’induit est un fer doux portant un enroulement continu réparti en 16 bobines, le fil de sortie de l’un et le fil d’entrée de l’autre sont reliés à un même conducteur du collecteur. Ainsi chaque bobine est reliée au collecteur central, que Pacinotti appelle le commutateur, par une lame de cuivre incrustée dans un petit tambour en bois. Deux frotteurs sont placés sur ce tambour en positions diamétralement opposées. L’inducteur est formé de deux gros électroaimants excités à l’aide d’une source extérieure. Si donc se trouvent réalisées les deux conditions principales qui n’étaient même pas encore entrevues en 1861, l’anneau à enroulement continu et le collecteur, il y manque l’autoexcitation de l’inducteur. Pacinotti comme bien d’autres avait construit un appareil de laboratoire qui pouvait servir de générateur, mais aussi de moteur. Pour cet usage il remplaçait d’ailleurs les électroaimants du stator par des aimants permanents. Ce détail n’est pas sans importance car il est bien dans l’esprit du temps. Tous les expérimentateurs savaient que les mêmes phénomènes d’induction pouvaient être utilisés dans des machines réceptrices. Avant 1850 Charles G. Page avait présenté près d’une dizaine de moteurs basés sur les effets d’attraction et de répulsion de barreaux aimantés par des électroaimants alimentés par des piles. On peut citer aussi le moteur de Jacobi. L’effet de réversibilité est passé inaperçu de tout le monde, de Gramme lui-même, jusqu’en 1873. Quoiqu’il en fût, tout le monde sait que la dynamo de Pacinotti est restée totalement inconnue de tous. Les contestations de priorité qui ont suivi 1872 étaient fondées, mais n’enlevaient rien au fait que Gramme a trouvé séparément des solutions déjà utilisées et surtout qu’il les a introduites dans une machine industrielle. Pacinotti aurait pu attaquer les brevets de Gramme; les brevets français sont délivrés sans examen préalable et sous la seule responsabilité du déposant. Ils ne sont frappés de nullité que si un tiers présente un document, ou une réalisation prouvant une antériorité. Pacinotti n’a pas entrepris une action en annulation parce qu’il n’était pas un constructeur industriel, il n’a voulu défendre que l’antériorité d’une idée scientifique dont lui-même n’avait pas mesuré l’importance qu’elle devait acquérir plus tard, et il n’en a réclamé qu’’un avantage intellectuel. On sait que la publication qu’il en avait faite dans la petite revue italienne Il Nuovo Cimento en 1864 est passée complètement inaperçue. Or 1864 est le début de la période de compétition dans la recherche de combinaisons de dynamoélectrique avec la constatation, sans grande suite d’abord, de l’inutilité d’un excitateur de démarrage. Gramme lui-même déclare dans sa communication de 1872 à l’Académie: La première aimantation a eu lieu sans le secours de piles: c’est l’électricité terrestre qui a rempli cette mission, au moment où je préparais des éléments Daniell pour l’obtenir.

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