1983 – 6(1)

C’est d’abord en vue de réaliser des lampes à arc pour les phares que Floris Nollet en Belgique et Fréderic Holmes en Angleterre créèrent les premières grandes machines magnétoélectriques. Elles utilisaient un grand nombre d’aimants permanents en fer à cheval entre les bornes desquels tournaient des disques portant les solénoïdes à fer doux. La machine de l’Alliance construite par Van Malderen n’était qu’une machine de Clarke dont les éléments étaient multipliés. Huit rangées d’aimants en fer à cheval fixes étaient disposées en étoile sur un grand bâti; chaque rangée comptait six aimants. L’arbre central portait cinq armatures mobiles, des disques de bois sur chacun desquels étaient fixées seize bobines. Les armatures tournantes étaient entraînées par la courroie de transmission d’une machine à vapeur. Naturellement l’arbre portait un commutateur de construction particulière avec des frotteurs pour obtenir un courant continu.

C’est devant cette machine que Gramme fut placé lorsqu’il travailla pour l’Alliance comme menuiser. En quelques mois son attention fut éveillée. Mais ce n’est pas la génératrice qui l’intéressa d’abord, mais la lampe à arc. Il aurait travaillé quelques temps au phare du cap de la Hève, près du Havre, pour y poser une rampe pour un escalier en colimaçon. De là son inspiration d’après ses pseudobiographes et première contrevérité. Le phare a été équipé en 1863 et déjà en 1861 Gramme avait déposé son premier brevet (N° 51 023). Les lampes étaient alors constituées de deux tiges de charbon de cornue placées verticalement dans le prolongement l’une de l’autre; comme ces charbons s’usaient en cours de fonctionnement, on avait inventé des « régulateurs » mécaniques qui maintenaient leurs extrémités à bonne distance. De plus le courant continu produisait une usure et une déformation plus rapide d’un
des deux charbons.

Le premier brevet de Gramme porte sur un perfectionnement des régulateurs à solénoïdes. Il est en contact avec les problèmes d’électricité industrielle de son temps depuis un an seulement et il a compris que si on alimente les arcs en courant alternatif, les deux charbons subiront une usure égale. Il faut replacer cette idée dans les conceptions de l’époque qui ne pense qu’en courant continu au prix d’une complication mécanique, le commutateur sur l’arbre des génératrices. Preuve d’une remarquable perspicacité et d’une compréhension des phénomènes et des fonctionnements des machines qui nous laissent perplexes après ce qu’on nous a dit sur son ignorance de primaire. Comme on place toujours ses travaux six à sept ans plus tard, on nous raconte qu’à cette époque il lisait un manuel d’électricité à l’aide d’un dictionnaire. Anecdote ridicule et sans fondement. Il était d’expression française et nous savons qu’il avait suivi les cours d’une école industrielle communale à Liège. Des cours du soir, précise-t-on pour diminuer encore le degré d’enseignement donné à cette école. Il y aurait appris le dessin industriel dont on nous donne un exemple dans la première communication à l’Académie des sciences de 1872. Mais les planches de tous ses brevets ont été redessinés par des professionnels.

Fig. 3. – La génératrice de l’Alliance.

Première énigme donc: d’où lui vint dès 1861 cette connaissance, cette curiosité de machines qu’il allait très progressivement essayer de transformer?

Arrêtons-nous sur le fait, non que Gramme ait pris un brevet si tôt, mais qu’il ait eu l’idée d’en prendre. Cela ne cadre pas du tout avec cette carrière solitaire et besogneuse qu’on nous décrit dans le plus pur style de la comtesse de Ségur; on croirait lire « la fortune de Gaspard ». On n’oublie pas le tableau si touchant de la famille se sacrifiant pour lui, du labeur dans la cuisine et du sacrifice de la table de cuisine pour le bâti de sa première machine que l’on place entre 1867 et 1872 parce que naturellement la liste des brevets donnée par Pelseneer est fallacieuse et pour cet auteur, qui n’en a consulté aucun, la note à l’Académie de 1872 est le plus important document dont on puisse faire état.

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