Peu après Breguet, dès 1879, des physiciens comme Mascart ou des théoriciens comme John Hopkinson, s’intéressèrent activement aux machines électriques. La conception des graphiques d’Hopkinson représentant les relations directes entre les grandeurs intervenant dans la dynamo et son circuit extérieur fut reprise et appliquée par Marcel Deprez dont les travaux sur le transport à longue distance se poursuivirent entre 1881 et 1886. Après la première démonstration de Fontaine en 1873 tout restait à faire et ni Gramme, ni aucun de ses collaborateurs, n’avaient essayé de débrouiller le problème. Par ailleurs les idées allaient bon train; en particulier il était admis que pour limiter les pertes, le diamètre des conducteurs devait croître avec la distance en de telles proportions qu’on avait calculé que pour transmettre au loin l’énergie des chutes du Niagara il faudrait employer une quantité de cuivre qui épuiserait les gisements du lac Supérieur.
Deprez au cours de ses travaux montra que la solution consistait à accroître non le diamètre des conducteurs, mais la force électromotrice des générateurs. Une étape était déjà franchie qui fit des années 1880 le prélude du véritable démarrage de l’électricité industrielle. Mais les générateurs en continu ne pouvaient alors fournir qu’une force électromotrice inférieure à 3 000 V. En 1890 seulement René Thury peut utiliser le continu sous une tension de 57 600 V grâce à une utilisation ingénieuse de couplage de génératrices dont certains principes avaient été exposés par Gramme dans sa note de 1874. Le réseau de Thury qui desservait Lyon resta en service pendant plus de trente ans. D’ailleurs on sait que la distribution de continu connut ensuite de grands développements.
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Mais vers la fin des années 1880 le succès définitif du transport à grande distance vint de l’utilisation de l’alternatif. Le fait le plus caractéristique de cette période est d’avoir vu apparaître et se développer les recherches de théoriciens de haut niveau comme Tesla, Ferranti, Ferrari et nombre d’autres, toutes consacrées aux alternateurs. L’invention de Gaulard et Gibbs du transformateur rappelle les circonstances de celles de Gramme. Mais c’est elle qui permit la première grande démonstration de 1891 de transport de courant triphasé sous une tension de 8 500 V et sur une distance de 177 km, qui n’avait encore jamais été couverte, à l’occasion de l’exposition d’électricité de Francfort-sur-le-Main.
Trois ans plus tard, Gramme se retirait de la direction de son entreprise. Il n’avait pu prévoir tout ce déferlement de technologie au moment de ses travaux qui correspondaient à des besoins modestes qui s’exprimaient au jour le jour. Il était resté cet homme dont la perspicacité et l’intuition ne recevaient leur stimulation que du travail manuel et de l’observation éveillée par des sujets qui l’intéressaient.
Un document nous permet d’élaborer une image très significative de l’expression de sa pensée lorsqu’elle s’éloignait de ses préoccupations matérielles. C’est le petit livre que sa seconde femme a publié en 1902, l’année suivant celle de sa mort, intitulé « Hypothèses de Zénobe Gramme ». Ce sont des notes prises en 1900 et 1901, peut-être pour la rédaction d’un ouvrage théorique ou simplement pour noter des idées générales concernant sa conception des phénomènes physiques divers. Rétrospectivement on a regretté qu’une veuve zélée, abusive a- t-on dit, ait publié ces notes. Elles nous sont très utiles pour comprendre quel était l’isolement intellectuel de Gramme par rapport au mouvement scientifique de son temps, touchant des phénomènes dont il avait une connaissance pratique.