1983 – 6(1)

Mais Gramme n’est pas resté complètement indifférent à cette propriété de la dynamo. Il écrit: Les appareils à courants continus, n’ayant ni bielle, ni manivelle, ni point mort, conviennent éminemment pour des expériences de transformation d’électricité en travail; aussi j’ai depuis longtemps cherché l’effet utile de leurs fonctions inversées. Depuis longtemps? Il n’avait pas soupçonné la réversibilité avant la démonstration de Fontaine, avant laquelle il ne croyait pas, comme tous ses contemporains, qu’une dynamo puisse fonctionner en réceptrice. Veut-il prendre date?

Il a imaginé d’alimenter une dynamo, sans dire comment les connexions sont établies, par une autre dynamo entraînée par une machine à vapeur. C’est exactement l’expérience de Fontaine de l’année précédente, dont il ne dit mot. Il donne simplement les résultats du travail sur l’arbre mesuré au frein de Prony. Enfin il termine en décrivant la façon de se servir de sa machine comme commutatrice, mais il ne s’agit pas de la transformation de courants alternatifs en continu: Pour terminer je signalerai une petite machine dans laquelle l’anneau est formé de deux fils de diamètres différents et d’un double collecteur de courant. Cette machine a la propriété de convertir l’électricité de quantité, provenant d’une pile ou d’une autre machine, en électricité de tension, ce qui permet, par exemple, de faire de la télégraphie avec deux éléments Bunsen. Il s’agit peut-être d’une référence à l’emploi possible du principe de la bobine de Ruhmkorff mais certainement pas des futurs transformateurs de Gaulard et Gibbs qui ne pouvaient apparaître dix ans plus tard que dans le contexte de la généralisation de l’alternatif. La véritable commutatrice d’alternatif en continu ou vice-versa viendra plus tard au cours des années 80 lorsqu’on commencera à utiliser des courants alternatifs.

Ici encore Fontaine n’est pas cité or c’est de lui qu’il tient la propriété de la réversibilité. Il écrira même froidement plus tard qu’il avait envisagé qu’on pourrait transformer l’énergie hydraulique en énergie électrique et transporter celle-ci à distance « par un seul fil ». Il n’a été pour rien dans tout cela.

La note de 1874 laisse une mauvaise impression. Le fait que la dynamo était réversible avait été démontré devant l’Académie le 19 mai 1873 par le gendre de Breguet, Niaudet et Planté dont les accumulateurs étaient connus depuis 1860. Mais les deux physiciens alimentaient la dynamo avec un accumulateur. L’expérience en elle-même n’était pas très neuve mais elle concernait pour la première fois une dynamo. Un mois plus tard avait lieu à Vienne la première exposition d’électricité. Hippolyte Fontaine y présentait le stand des machines de Gramme dont l’une devait fonctionner comme génératrice, entraînée par une machine à vapeur, et l’autre comme réceptrice du courant d’une pile électrique. Quelqu’un aurait fait observer à Fontaine qu’en plaçant la seconde dans le circuit de la première, il obtiendrait sans doute le même effet et se passerait de la pile électrique. C’est ce qu’il fit, la dynamo fonctionnant comme moteur actionnait une pompe hydraulique qui créait une petite cascade. L’incident a été rapporté avec plusieurs variantes dans les notices nécrologiques de Fontaine mort en 1910. C’est Figuier, qui assistait à l’exposition, qui fait intervenir un visiteur non averti. Quoiqu’il en fût, il est certain que personne n’avait jusqu’alors imaginé qu’une dynamo puisse actionner à distance une machine exactement semblable fonctionnant en moteur. On a vu dix ans plus tôt Pacinotti remplacer ses électros par un aimant permanent. La raison du silence de Gramme sur cette démonstration, alors parfaitement connue, est une énigme. Si l’on pouvait en trouver la réponse, celle-ci serait peut-être très significative. Quant au transport à distance ce fut dans les années 80 l’œuvre de Marcel Deprez et Gramme n’y fut pour rien. Nous y reviendrons brièvement plus loin.

La dernière note de Gramme à l’Académie date du 11 juin 1877. Elle est assez anodine. Le texte pourrait passer pour un texte de publicité à l’usage des industriels pratiquant la galvanoplastie. On note que les machines dont il parle sont construites chez Mignon et Rouart et qu’il s’agit naturellement de courants continus seulement.

Or le courant alternatif que pouvait aussi produire les machines de Gramme avait pris depuis un an environ un certain intérêt grâce à un nouveau dispositif pour l’éclairage public. On a vu que les lampes à arc employées depuis une trentaine d’années auraient mieux fonctionné en alternatif qu’en continu. On les alimentait avec des batteries de piles et les quelques machines de l’Alliance utilisées pour l’éclairage public lui fournissaient principalement par routine du continu.

En 1876, un ingénieur des télégraphes russes, Paul N. Jablochkoff, établi à Paris, eut l’idée de placer les deux charbons côte à côte verticalement et de les noyer dans une enveloppe d’argile qui les isolait l’un de l’autre. Leurs extrémités supérieures étaient reliées entre elles par un mince filet de charbon qui brûlait à l’allumage et la « bougie » se consumait régulièrement pendant son fonctionnement. Mais pour cela elles devaient être alimentées par un courant alternatif produit par des machines Gramme. Comme Jablochkoff avait imaginé un changement automatique des bougies consumées dans ses lampes, on disposait pour la première fois d’un système d’éclairage sans coupure qui fut rapidement adopté dès 1876 non seulement pour l’éclairage public, mais pour ceux des grands magasins à Paris comme à Londres. Ce succès fut de longue durée et c’est lui qui assura les premiers succès commerciaux des alternateurs de Gramme.

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