1983 – 6(1)

Si Breguet a été l’introducteur à l’Académie, Hippolyte Fontaine a certainement été l’intermédiaire avec Charles d’Ivernois. Fontaine, qui approchait de la quarantaine, était un ingénieur de l’Ecole des Arts et Métiers de Châlon, et non un ancien menuisier comme l’écrit Pelseneer mais fils de menuisier. Le détail est important parce que l’on décrit toujours Gramme dans son isolement même au début de son époque industrielle. Or, dès 1872, Gramme eut un collaborateur si fidèle, Emile Javaux, qu’il lui succéda à la direction de la société lorsque Gramme se retira en 1894. Javaux devait certainement posséder des qualités et des connaissances assez élevées qui lui permirent d’assurer cette succession. Mais peut-être a-t-il acquis son savoir en cours de carrière. Il serait très utile de pouvoir étudier la carrière et la personnalité de Javaux. On sait aussi que deux autres ouvriers ont travaillé sous la direction de Gramme dès les débuts de l’entreprise.

Pour ce démarrage il serait intéressant de disposer d’informations plus détaillées sur les relations de Gramme et de Fontaine. On a écrit que ce dernier eut la chance de se spécialiser dans l’électricité grâce à sa rencontre avec Gramme et de pouvoir faire ainsi une brillante carrière. On peut se demander si les faits ne furent pas à l’inverse de ce qu’ont écrit les panégyristes de Gramme. Non pas que celui-ci acquit des notions d’électricité de Fontaine; s’il ignorait les théories dont il s’est toujours passé, il était déjà le réalisateur le plus avancé dans la pratique et n’avait certainement aucun conseil à recevoir de quiconque pour la conception et la construction de dynamos. Mais Fontaine était un homme actif, curieux de tout et entreprenant. Il écrivait régulièrement des chroniques dans le Bulletin des anciens élèves de l’Ecole alors très lu. Il avait recueilli et édité avec des condisciples le cours de mécanique d’un des professeurs de l’Ecole; il avait publié une étude sur l’exposition universelle de 1867. Pendant un certain temps il fut ingénieur des chemins de fer du Nord. Mais il paraissait toujours disponible pour quelque activité. Plus tard il devait être chargé de la préparation d’autres expositions importantes.

Il y a tout lieu de penser que c’est lui qui suggéra à d’Ivernois de commanditer Gramme. On ne peut savoir quand fut fondée la première société dont Hippolyte Fontaine devint sinon le directeur, tout au moins le collaborateur le plus actif, gérant ou agent de relations publiques. On a parlé de l’hiver 70-71. Mais Gramme n’était pas à Paris pendant le siège. Il s’agit probablement de l’hiver suivant. En effet une addition au brevet 87 938 de 1869 a été déposée le 27 février 1872 et enregistrée au mois de mai suivant au nom de la Société d’Ivernois et Gramme. Elle contient quelques détails complémentaires de construction et décrit les balais « composés d’un faisceau de fils métalliques ». La planche qui accompagne le document est signée d’Ivernois et Gramme. Comme pour les précédentes, les signatures ne sont qu’un acte d’authentification. Toutes les planches des brevets depuis l’origine, nous l’avons vu, ont été redessinées par des professionnels du dessin industriel.

Pelseneer fait état d’une note de Gramme à Ernest Bazin, un ingénieur pour lequel il avait travaillé pendant quelques mois, datée du 1er août 1870, dans laquelle il se plaint d’un bailleur de fonds qui se fait tirer l’oreille. Mais la déclaration de guerre de la France à la Prusse est du 18 juillet, et on comprend les hésitations de ce financier. Rien ne dit d’ailleurs qu’il s’agissait de Charles d’Ivernois dont le nom n’apparaît pas sur un certificat d’une nouvelle addition au brevet 87 938 déposée le 11 avril 1870, enregistrée en juin. A ce propos il faut noter que nous ne savons rien non plus des relations de Gramme avec Ernest Bazin. C’est peut-être une lacune importante. Il a travaillé pour lui de 1864 à 1866 en particulier pour l’éclairage électrique des ardoisières d’Angers, puis à Lorient. Pelseneer cite cet intermède comme un fait secondaire. Mais c’est une période importante dans les travaux personnels de Gramme. Les relations entre les deux hommes ont duré au moins jusqu’en 1870 et peut-être Bazin avait-il cherché, avant la guerre, à créer une société d’exploitation des machines Gramme.

Pour en revenir à d’Ivernois, il serait intéressant de savoir jusqu’à quand l’association a duré. En 1877 encore, le brevet 120 649 est pris au nom de la même société. Je n’ai pas poursuivi mes recherches plus loin pour les besoins de la présente communication. Pendant toute cette période, d’Ivernois, comme Gramme, touche une partie des royalties venant des licences que Fontaine a placées à l’étranger et de celles des constructeurs français, Louis Breguet, Sautter, Lemonier, Mignon et Rouart. Toujours domicilié rue Popincourt, il semble que Gramme n’ait disposé d’atelier de fabrication que vers la fin des années 1870.

Rechercher sur le site

Rechercher