2. Approche objective
Au départ, l’on constate la subjectivité des qualités physiologiques auditives. Il y a donc, à la base, contradiction avec le desiderata d’objectivité forte. Celui-ci stipule que l’objet de toute théorie physique est de faire un compte rendu intelligible d’une réalité indépendante de nos perceptions ou de nos moyens d’investigation.
Une première manière de procéder est de rejeter toute étude liée à l’aspect purement auditif. C’est dans ce cadre que l’acoustique classique s’est placée. Ainsi à partir du 16ème siècle les travaux sont consacrés à la production et à la propagation du son dans l’air, tant du point de vue expérimental que théorique. A partir du 17ème, l’on étudie les vibrations et le début du 19ème consacre une grande partie de ses efforts à l’aspect théorique des vibrations. Des historiens (Costabel & Auger, 1961) n’hésitent pas à remarquer que « les efforts théoriques suscités par le phénomène des plaques vibrantes ont été en définitive plus favorables aux développements de la mécanique générale de l’élasticité et de l’analyse des équations aux dérivées partielles qu’à l’acoustique elle-même ». Ce constat pose tout le problème de l’approche utilisée. Fin du 19ème, le traité d’acoustique de Rayleigh (1945) réussit une synthèse magistrale des travaux consacrés aux vibrations mécaniques et à la propagation des ondes sonores dans les milieux fluides. Dès lors, aux yeux de la plupart des physiciens, l’acoustique est considérée comme une science achevée, qui ne peut donner lieu qu’à des recherches appliquées dignes des ingénieurs.
Une seconde manière de procéder est de relier les « qualités physiologiques » [[L’expression « qualités physiologiques » est empruntée aux définitions en vigueur dans l’enseignement français (voir par exemple R. Faucher, Physique II, p. 110, Hatier, 1961); pour nous cette expression est synonyme de « qualités psychologiques des sensations ». ]] par des conventions de correspondance à des grandeurs physiques dont la mesure peut être objective. Même ainsi simplifié, le problème n’est guère aisé. Ainsi les premiers travaux du 19ème siècle sur les limites de l’audibilité vont révéler la grande variabilité des sujets humains étudiés, c’est-à-dire la difficulté d’obtenir une normalisation des mesures. Nous pouvons donner comme modèle de cette approche l’ouvrage de Helmoltz (1954). Ce sont ses travaux qui sont, par exemple, à la base des définitions d’intensité, de hauteur et de timbre données dans les livres de physique actuels. Pour Helmholtz, le timbre d’un son continu dépend uniquement du nombre et de l’intensité des harmoniques présentes dans le son. Les fréquences des harmoniques se déterminent à l’aide d’un jeu de résonateurs, tandis que les intensités sont estimées auditivement par l’amplitude de la résonance. Pour ces mesures, l’idéal dans la conception d’Helmholtz est de remplacer comme détecteur l’oreille par une capsule manométrique de Koenig qui permet de suppléer l’audition par la vision. L’approche d’Helmholtz rend certes objective l’étude d’un son constant, mais n’établit pas de corrélation entre la nature physique et psycho-acoustique du son musical.
Remarquons que les traités de physique actuels ne présentent pas les restrictions clairement signalées par Helmholtz. Celui-ci écrit que « des considérations simples montrent que les particularités des sons musicaux dépendent de la manière dont ces sons débutent et se terminent… Lorsque nous parlerons dans la suite du timbre musical, nous ferons abstraction de ces particularités, relatives au début et à la fin du phénomène sonore, et nous ne considèrerons que les sons entièrement uniformes ». Autrement dit, le son musical est… mort ! Cette situation montre clairement les limites de l’approche objective et de ses conventions de correspondance. Il n’empêche que dans le cadre choisi par Helmhotz, ce qu’il énonce est objectivement exact. Ce n’est malheureusement pas le cas de la plupart des traités contemporains.