1984 – 7(4)

Si l’on replace cette phrase dans son long contexte de quatre grandes pages, on découvre que Van Helmont veut démontrer que c’est parce que le Crapaud a peur de l’Homme qu’il renforce sa propre haine en fabriquant du poison. Le Zenexton n’est donc pas un médicament traditionnel; ce n’est même pas un remède, puisqu’il agit préventivement. C’est une sorte d’amulette qui agit par sympathie; la lutte contre la peste à l’aide des poisons sécrétés par le Crapaud est un combat des esprits mauvais: l’esprit matérialisé par le poison du Crapaud contre l’esprit de la peste.

But according to the testimony of Adeptical Phylosophy, the Toad bears an hatred against man, so that he infects some Herbs that are usual with man, with his corruption, and that in hope of his death : But he differs from the serpent in this, that at the sight of a man, he from a natural gift conceives a great terrour or affrightment; which terrour from man, attains for, and imprints on himself, a natural efficacy against the images of the affrighted Archeus in man » (p. 1150).

Toute la thérapeutique de Van Helmont était imprégnée de cette conception d’une action magnétique des remèdes. Le chapitre consacré à la guérison magnétique de blessures le démontre bien (voir aussi Van Helmont, 1621, 1648 b, 1650 et 1664 : 756-793). Il est curieux de constater que cette utilisation du Crapaud comme remède contre la peste sera présentée par Van Helmont, non pas par référence à la tradition de Paracelse ou d’autres, mais bien comme une découverte personnelle, des « signes » particuliers lui ayant fait pressentir l’existence d’un tel remède chez le Crapaud (p. 1140) :

Now at least, I will say that I have cast a Toad into a Lake encompassed with a wall, which on the morning following had dyed, swimming swollen, upon the water. But he had his back besprinkled with a frequent black mark: From which signal spots I conjectured, that he bears a remedy against the Plague even the most cruel one;…»

Cette idée d’une action sympathique, c’est-à-dire d’une action à distance sans support matériel, était une opinion couramment admise, même chez des naturalistes aussi remarquables que Pierre Belon ou Conrad Gessner[[ Graphie correcte, et non Gesner comme on l’écrit toujours. ]], chez qui, au milieu du XVIe siècle, on trouve l’affirmation que l’homme se trouve mal à la seule vue du crapaud. C’est cette idée d’un effluve immatériel qui est à l’origine d’une opinion fréquemment rencontrée au niveau des traditions populaires jusqu’au XIXe et même au XXe siècles, que le regard fixe du crapaud est capable de fasciner des oiseaux. Dans les écrits scientifiques postérieurs au XVIe siècle, on matérialisera cette influence et ce sera soit la bave, soit le venin, qui porteront tous les attributs de la malédiction du crapaud. En voici quelques exemples.

Ambroise Paré raconte que trois marchands furent empoisonnés pour avoir bu du vin de sauge sans laver les feuilles où des crapauds avaient laissé leur venin (1840-1841). La même idée se retrouve chez Guillaume Rondelet (1507 – 1566) : une femme meurt après avoir mangé des herbes où un crapaud avait répandu sa salive (Cité par Delamazière 1761 ). Bien plus tard, Delamazière (1761) raconte encore ceci. Un habitant de Chasseneuil, près de Poitiers, jette un crapaud dans le feu. Il n’en meurt pas et se sauve. On l’y jette à nouveau et cette fois il meurt. La servante ranime le feu presqu’éteint; elle est prise de malaises, le visage gonflé, les oreilles tuméfiées, le corps froid … et ne s’en remet que le lendemain. C’est évidemment au poison du crapaud, extrêmement pénétrant et attiré par la seule inspiration, que l’on attribuera la cause de ces malaises.

Cette idée d’une action sympathique va évidemment alimenter toutes les théories relatives au magnétisme animal qui conduisirent au mesmérisme, à l’hypnotisme, à la télépathie, à la magie, au somnambulisme, à la suggestion, etc. Tous ceux qui ont fait l’historique du magnétisme animal s’en sont tenus d’ailleurs à ces seules rubriques, en commençant leur livre à Mesmer.

Il n’est peut-être pas inutile de rappeler que les sources de cette conception sont beaucoup plus anciennes et qu’il serait plus rigoureux de commencer un tel historique au moins avec les théories de la sympathie antipathie des alchimistes, ésotéristes et mystiques du XVIe siècle, dont Paracelse est le représentant le plus important, et de citer au moins le célèbre De Magnete (1600) de William Gilbert (1544-1603) qui allait avoir une influence considérable sur la pensée scientifique, véritable cette fois, puisqu’il s’agissait bien d’une force physique réelle et non plus d’affinités purement mythiques. L’une des formes anciennes du magnétisme animal est représentée par l’antipathie réciproque de certains animaux. Toute une littérature lui fut consacrée aux XVIIe et XVIIIe siècles. L’exemple le plus célèbre est celui de l’antipathie réciproque des crapauds et des serpents à laquelle plusieurs auteurs allemands consacreront leur talent. On en trouve d’ailleurs aussi un exemple chez Van Helmont, qui raconte que la châtelaine de Rommerswal assista à Ecchove (vraisemblablement Eckhoven, à Rumst, au nord de Malines) à un combat entre un crapaud et une araignée qui dura toute une après-midi (p. 1151, toujours dans le texte sur la peste). Ce récit étonnant se retrouve presque textuellement en 1885 dans un périodique anglais; il fut également traduit en français la même année (Anonyme 1885).

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