1985 – 8(1)

On connaît surtout l’activité des médecins praticiens par les papyrus documentaires. Dans ces textes, la plupart des praticiens portent des noms grecs, tandis que les vétérinaires ont des noms indigènes : aussi a-t-on pu en inférer que la médecine était principalement pratiquée par des Grecs, alors que l’art vétérinaire était plutôt l’apanage des Egyptiens (Mannetti, 1942).

La première tâche des praticiens consistait évidemment à traiter leurs patients. Mais ils pouvaient également avoir d’autres activités. A l’époque ptolémaïque, ils ne possèdent apparemment aucun rôle légal au départ (ils semblent avoir été appelés sur initiative individuelle pour apporter un témoignage d’expert) et ils n’ont pas de titre officiel avant le milieu du IIème siècle de notre ère, quand ils commencent à apparaître (vers 170) comme « médecins publics » (Boswinkel, 1956; Amundsen & Ferngren, 1978; Roesch, 1982). C’est à ce titre qu’ils rédigent des rapports de médecine légale, dont on possède beaucoup d’exemples dans les papyrus documentaires (Nanetti, 1941). Ce sont, soit des attestations de décès, soit des rapports de visite médicale et de soins, soit des témoignages écrits dans des procès pénaux ou civils, soit des certificats de maladie d’employés. A partir du IVème siècle, le titre de « médecin public » est graduellement remplacé par celui d’« archiatre » qui, à l’origine, sous les Ptolémées, désignait un médecin de cour (Nutton, 1977).

Il y a aussi des praticiens attachés à des hôpitaux ou dispensaires. A ce propos, le cas du médecin chrétien Flavius Phoibammôn, dont on a retrouvé le testament (P. Cairo Masp., II, 67151), daté du 15 novembre 570, est exemplaire. Flavius Phoibammôn, fils d’Euprépeios, qui était lui-même archiatre d’Antinoopolis, a hérité la charge de son père. De son vivant, il a administré un hôpital ou dispensaire selon les dernières volontés de son père Euprépeios. A sa mort, il en confie la surveillance à son frère Jean, qui devra prendre soin de son fonctionnement et pourvoir aux frais d’entretien. Le fait est loin d’être isolé dans le monde byzantin: dès le Vème siècle, et surtout aux VIème et VIIème siècles, l’Egypte se remplit de telles institutions: il y en a à Antinoopolis, à Alexandrie, mais aussi à Arsinoë, à Oxyrhnque, à Hermopolis et à Ptolémaïs (Philipsborn, 1961, pp. 338-365).

Apparemment, le niveau de connaissances des médecins de l’Egypte gréco-romaine est assez élevé. Si l’on se fonde sur la littérature papyrologique, on peut affirmer qu’ils disposent de bibliothèques bien fournies, qu’ils lisent des auteurs tels qu’Hippocrate, Nicadre de Colophon, Dioscoride, le médecin Hérodote, Galien et Soranus, et qu’ils connaissent des médecins tels qu’Alcméon de Crotone, Dioclès de Caryste, Praxagoras de Cos, Xénophon, Archagathos, Philoxène, Démétrius d’Apamée, Héraclide, Héron, Ménodore, Sostrate, Asclépiade de Bithynie, Archibios, Nicératos d’Athènes et Antylle d’Alexandrie.

En tout état de cause, il apparaît que la doctrine à laquelle ils se réfèrent (et qui est conservée dans les papyrus) est typiquement grecque et qu’elle n’atteste aucune influence égyptienne. De fait, il n’existe pour ainsi dire pas un texte pour lequel on n’ait point trouvé de parallèle chez les grands auteurs médicaux de l’antiquité gréco-romaine. Au contraire, l’organisation de la matière, le cheminement de la pensée, le style, les noms, les mots, tout est grec. S’il ya des correspondances entre la médecine pharaonique et la médecine grecque, elles semblent fortuites. Il s’agit, soit d’observations cliniques (symptômes indiscutables d’affections identiques), soit de pratiques thérapeutiques élémentaires. Ainsi, pour réduire une luxation de la mâchoire, on utilise couramment la manœuvre dite « de Nélaton » (chirurgien français du XIXème siècle) (fig. 2). Celle-ci consiste à saisir le maxillaire inférieur en plaçant les pouces sous l’arcade dentaire et les doigts sous la branche horizontale. Il faut, dans un premier temps, abaisser progressivement le maxillaire inférieur pour désenclaver les condyles, puis, dans un deuxième temps, réaliser un mouvement de rétropulsion pour réintégrer les condyles dans la glêne. Ce procédé est décrit par Hippocrate (Artic., 30 = IV, 144 L.) et également attesté, en médecine égyptienne, dans le papyrus Edwin Smith, que l’on s’accorde généralement à dater de la XVIIIème dynastie (Lefèbvre, 1956, pp. 184-185). Pourtant il n’y a aucune raison de voir un rapport de filiation entre le procédé du papyrus égyptien et celui d’Hippocrate: la manœuvre de Nélaton fait partie de ces pratiques que tout bon rebouteux doit connaître.

Les seuls éléments égyptiens apparaissent dans les recettes, qui empruntent parfois les produits du terroir, comme, par exemple, la fiente d’ibis et le vin égyptien (I.A., p. 303). Mais l’utilisation de ces ingrédients appartient aussi, depuis longtemps, à la liste canonique des simples décrits par les herboristes grecs.

Comme le notait, en 1956, Claire Préaux (1956), « tout semble indiquer que les Grecs se sont installés dans le pays égyptien avec un bagage médical apporté de chez eux ». Mais, loin de se scléroser, la science médicale importée de Grèce a évolué. Les médecins grecs installés en Egypte paraissent s’être continuellement informés des nouveautés et des découvertes. D’ailleurs, les œuvres médicales parues en Grèce ou à Rome semblent avoir été assez rapidement diffusées dans le pays du Nil: par exemple, on possède, pour la Matière médicale de Dioscoride, qui fut médecin militaire sous Claude et Néron, des papyrus datés du IIème siècle (I.A. 116 et 20). Mais les médecins alexandrins sont allés plus loin encore, puisque, par leurs découvertes, ils ont hissé l’art de guérir à des sommets pour longtemps insurpassés.

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