1984 – 7(4)

RECENSIONES

N. JARDINE (1984)
The birth of history and philosophy of science.
Kepler’s A Defense of Tycho against Ursus with essays on its provenance and significance.
Cambridge University Press. IX + 301 p. Relié toile, £ 32,50.

En 1600, Johannes Kepler se trouva chargé d’une tâche assez délicate. Tycho Brahe avait imaginé un système du monde intermédiaire entre celui de Ptolémée et celui de Copernic, en faisant tourner le soleil (et la lune) autour de la terre, mais toutes les autres planètes autour du soleil. Le Mathématicien Impérial Ursus (Nicolai Baer) accusa Tycho Brahe de plagiat, affirmant que ce système avait déjà été proposé par Aristarque, par Apollonius et par Copernic. En demandant à Kepler de réfuter les accusations d’Ursus, Tycho Brahe plaçait Kepler dans une situation difficile. Kepler avait en effet quelques années plus tôt et assez imprudemment accompagné l’envoi à Ursus de son Mysterium Cosmographicum d’une lettre fort élogieuse pour son destinataire, qui n’avait pas hésité à en reprendre les termes, à l’insu de Kepler, en publiant son attaque contre Tycho Brahe. Kepler lui-même s’en tenait au système héliocentrique de Copernic et n’adhérait donc pas aux idées défendues par Tycho Brahe, mais d’autre part il souhaitait se concilier les bonnes grâces de ce dernier car il allait bientôt pouvoir travailler auprès de lui, ce qui lui donnerait accès à ses excellentes observations astronomiques. Il fallut donc quelques années à Kepler pour rédiger son petit livre, qui ne fut achevé qu’après la mort d’Ursus et de Tycho Brahe et fut publié pour la première fois en 1858; on le trouve ici dans sa version originale (en latin) et traduit en anglais avec accompagnement de notes.

Pour l’auteur, Kepler a ainsi fait œuvre de pionnier dans les domaines de l’histoire des sciences et de la philosophie des sciences. D’une part, il reconstruit et analyse avec esprit critique la pensée des astronomes de l’Antiquité grecque, et, de l’autre, il se heurte à un problème épistémologique qui se retrouve aussi dans d’autres sciences et qui depuis l’Antiquité se manifestait de manière particulièrement aiguë en astronomie. La méthode des épicycles de Ptolémée qui se contentait de « sauver les phénomènes » (c’est-à-dire de prédire les positions des corps célestes) mais sans prétendre les expliquer ne satisfaisait pas ceux des astronomes qui se préoccupaient de chercher les causes des mouvements des astres. Kepler était évidemment parmi ces derniers, et il avait déjà présenté avec son Mysterium Cosmographicum un système reposant sur une théorie cohérente; dans la suite de ses travaux, il donne pour but à l’astronomie de fournir une description aussi exacte que possible du cosmos, et il invoque l’harmonie du monde pour fonder une philosophie naturelle.

Le lecteur désireux de trouver quelques renseignements supplémentaires sur cet ouvrage pourra consulter un compte rendu plus détaillé qui parait dans le Bulletin de la Société Mathématique de Belgique, Série A, tome 36 (1984).

G. Hirsch

Jacques SOJCHER et Gilbert HOTTOIS, éd. (1983)
Ethique et Technique.
Annales de l’Institut de Philosophie et de Sciences morales (Université libre de Bruxelles). Edit. Univ. de Bruxelles, 165 p.

Ce volume doit son titre à 8 articles rassemblés, formant un ensemble de 118 pages, auxquels succèdent des varia sans rapports directs avec le titre du recueil. Pour de multiples raisons, il ne nous est pas possible de nous attarder à chacune des contributions. Avant de proposer quelques remarques au sujet de certaines d’entre elles, il nous faut nous réjouir de la parution de ce volume, et du thème choisi. Voilà qu’enfin la réflexion philosophique aborde en Belgique les problèmes de la technique (il y eut bien sûr des précurseurs: le Prof. Ladrière -nous avons rendu compte d’un de ses ouvrages in Technologia 1 : 85-6, 1978-, Henri Van Lier dans son célèbre et oublié Nouvel Age– c’était en 1962-ou même, à un niveau sensiblement moins problématique ou peut-être simplement moins pédant, Jean Laloup et Jean Nélis dans Hommes et machines, en 1953).

C’est à un des éditeurs des Annales (le Prof. Hottois) que l’on doit cet intérêt philosophique pour la technologie, et Technologia ne peut qu’applaudir. Bravo donc pour l’initiative. Voyons quelques-uns des résultats.

Le volume s’ouvre sur l’inévitable Jacques Ellul, qui nous propose une « Recherche pour une Ethique dans une société technicienne » (p. 7 à 20, nous n’indiquerons pas les folios à chaque citation, pour ne pas alourdir notre texte). Cela commence comme ceci: « Il n’est peut-être pas inutile, pour qu’il n’y ait pas de malentendu, de rappeler ce que j’entends par Technique ». En effet, cela n’aurait pas été inutile, mais le lecteur cherchera vainement. Emporté par le flot abondant de sa pensée, l’auteur a oublié la définition promise. C’est d’autant plus frustrant que Mr Ellul, comme l’on sait si l’on a prit la peine de lire ses gros ouvrages, distingue la Technique de la Technologie. Comme on aurait aimé qu’un rappel de cette précieuse distinction figurât ici. Tant pis.

Quand même, Mr Ellul nous dit que la Technique « est devenue le facteur dominant dans le monde occidental ». Apparemment qu’il faudra encore le répéter à quelques philosophes avant qu’ils finissent par en convenir. Et, bien sûr, il dissertera sur « la société technicienne » (reprenant les résultats de son ouvrage de 1977, Le Système technicien, dans lequel on lira avec intérêt cette appréciation – à laquelle je souscris d’ailleurs partiellement – du travail de J. C. Beaune, à propos justement de la distinction entre technique et technologie: « travail d’une grande naïveté prenant une apparence scientifique grâce au système rhétorique »).

Après avoir promis de définir la Technique, et après avoir présenté la société technicienne, le raisonnement progresse et l’auteur nous apprend que « la technique n’est pas neutre, elle a ses orientations, ses implications, ses conditions de fonctionnement… Elle modifie la totalité de l’homme et de son environnement ».

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