1984 – 7(4)

3. Approche pragmatique

Cette approche a été utilisée de tous temps par les facteurs d’instruments et les musiciens. Un apprentissage souvent long leur permet de définir des grandeurs complexes que leur pratique autorise de relier de manière empirique et univoque. Ainsi, en plus des caractéristiques physiques de hauteur, timbre, intensité et durée, ils utilisent une série de qualifications sonores telles que son rond, creux, vivant, chaud, etc … Les échanges et discussions vis-à-vis des divers types de sonorités sont ainsi possibles. Comme ces termes recouvrent des qualités représentatives des comportements de systèmes complexes, ils appartiennent plus au langage poétique qu’au langage scientifique. La transmission de tels concepts ne peut s’établir qu’en refaisant la totalité de l’expérience acoustique commune. En fait, dans une telle situation, les concepts sont renormalisés de manière constante grâce à une pratique commune au sein d’une communauté limitée et spécialisée.

Au 18ème siècle, cette approche a permis d’aborder certains aspects pouvant être considérés comme paradoxaux par les objectivistes (tels les sons de combinaisons de Tartini) pour en réaliser des applications pratiques (telles les basses acoustiques des orgues). C’est cette approche qui a permis, dès la plus haute antiquité, l’évolution des instruments de musique. Comme tout ce qui concerne les techniques mises au point par les artisans, elle est trop souvent absente des documents historiques. L’approche pragmatique est à l’origine des méthodes expérimentales et de nos connaissances théoriques et elle reste, dans le domaine des sons musicaux, un guide indispensable.

4. Approche moderne

Des études telles que celles de Merleau-Ponty ont attiré l’attention sur les problèmes épistémologiques liés à la perception. L’on constate depuis quelques décennies une approche de chercheurs qui, à partir d’une double formation d’artiste et de scientifique, tentent d’établir une symbiose entre l’art et la science. La musique moderne, dans sa volonté de créer des sons nouveaux, a été un puissant stimulant dans cette voie. Des compositeurs, tels Schaeffer (1966) et Risset (1978), ont montré par des exemples sonores et des expériences d’illusions acoustiques que la plupart des concepts introduits par les acousticiens objectivistes n’étaient pas adéquats. En fait, les concepts de base de la théorie musicale (hauteur, intensité, timbre, durée) ne constituent pas des variables indépendantes représentatives de la base d’un espace sonore objectif (Moles, 1972) mais représentent plutôt des attributs psycho-acoustiques étroitement couplés. Ces concepts de base ne possèdent un sens précis que dans le cadre d’une pratique musicale limitée; l’apparition de nouvelles sources sonores (amplificateurs, synthétiseurs, ordinateurs: voir Willems, 1980) ont ébranlé notre univers sonore « acoustico-rnécanique » classique pour nous amener face à une réalité sonore nouvelle où nos intuitions familières ont perdu leur sens.

Cette approche a été indubitablement enrichissante pour la réalisation de sons nouveaux en musique moderne (Stockhausen). De plus, elle a permis de mieux appréhender la complexité de la réalité sonore et elle a provoqué un nécessaire regain d’intérêt pour les études à tous les niveaux de la perception auditive. C’est de la dialectique entre science et art qu’est apparue cette approche nouvelle dont l’originalité résulte, pour une première fois dans l’histoire, d’une « rétro-action » de la science sur l’art des sons. Par contre, cette approche n’est pas arrivée à l’heure actuelle à formuler une synthèse satisfaisante. Ce n’était d’ailleurs pas là son but.

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