1978 – n°4 – décembre

La langue, une technique de communication

L’histoire des techniques connaît trois inventions-clés correspondant à trois stades d’évolution de l’humanité. L’homme, il y a fort longtemps, a créé bifaces, racloirs et autres outils, premières inventions techniques. A ce génie, on a donné le nom général d’Homo faber. Puis, pour assurer les échanges avec ses semblables, l’Homo loquens a inventé le langage, la première technique de communication. Enfin, l’Homo scribens a créé patiemment l’écriture, moyen privilégié de mémorisation et technique de cumul du savoir. Le langage et l’écriture ont donné naissance à deux types de civilisations : la civilisation de l’oralité et la civilisation scripturaire. La nature première du langage, c’est l’oralité. Le terme « oralité » risque d’être ambigu : il sert aux psychologues pour désigner un stade de développement chez l’enfant. Les ethnologues, d’autre part, réservent la notion d’oralité aux sociétés sans écriture. A ce critère privatif, on préférera ici le néologisme « oralisme ». L’oralisme s’applique aux sociétés traditionnelles où les individus, pour communiquer, se servent exclusivement de la parole. On a recensé de deux à trois mille langues parlées actuellement dans le monde. De ces langues connues, moins de 5% sont à la fois parlées et écrites. Le passage de l’oralisme au scripturaire constitue réellement une révolution culturelle qui a profondément modifié le profil social et psychologique des groupes concernés. L’influence de l’écriture sur les sociétés et les individus est indéniable. Le scripturaire a favorisé une forme de connaissance et une manière de penser, qui ont permis le progrès en chaîne que nous connaissons aujourd’hui. Comment et pourquoi ces deux techniques de communication – orale et écrite – ont eu tant d’influence, voilà l’objet du présent essai.

La lutte contre l’entropie

Selon Leroi-Gourhan (1964), la naissance du graphisme se situerait aux environs de 35.000 ans avant notre ère. Les signes des pierres gravées (spirales, lignes droites et groupes de points), supports de la récitation incantatoire, auraient permis à l’officiant de suivre, du bout du doigt, les figures, au rythme de sa déclamation. Le graphisme se joint au rythme comme adjuvant de la mémoire. Le passage au graphisme constitue un exploit technique à partir d’un certain niveau d’abstraction. C’est le cas pour les « calendriers », simples repères taillés dans la pierre ou dans l’os, première mensuration systématique des phénomènes. Exploit plus remarquable, le passage à l’écriture des sons date d’environ 6.000 ans. Les premiers alphabets sont, en effet, une autre technique, un autre code plus complexe, qui révèle une plus grande faculté d’abstraction. Mais il a fallu longtemps pour que se diffusent ces nouvelles techniques.

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