Ce n’était pas la première fois qu’on observait ce genre de phénomène et Froidmont va évidemment citer cinq auteurs qui en avaient fait état avant lui, pour bien prouver son érudition, comme cela était de mise à l’époque. La date précise de l’observation manque et le texte ne permet pas de se prononcer avec certitude sur l’identité de l’espèce observée, mais le fait paraît authentique puisqu’il y eut des témoins. On admettait généralement que ces grenouilles se formaient dans les nuages, mais Froidmont propose cette fois une autre théorie ; ce serait le contact de la pluie avec la poussière du sol sec qui les engendrerait. Cette observation et l’interprétation qu’en donne Froidmont furent critiquées par John Ray [1627-1725], dont le vrai nom était Wray, parfois latinisé en Rajus.
Ce théologien était aussi philologue et surtout un remarquable naturaliste, que l’on considéra d’ailleurs comme le Linné anglais (Raven 1950, Keynes 1976). L’ouvrage qu’il consacra à « L’Existence et la Sagesse de Dieu manifestées dans les Œuvres de la Création » est vraiment stupéfiant, car derrière ce titre théologique se cache en réalité un remarquable ouvrage de biologie où l’auteur s’est attaché tout spécialement à démontrer les adaptations des animaux à leur milieu. C’est en particulier le cas pour le vol des oiseaux (1 : 146 ss.), pour la nage des poissons (1: 151-152), pour la bipédie de l’homme (II : 221), la respiration des poissons (1: 76), les migrations des oiseaux (1: 128), les vocalisations des animaux (1 : 159), la théorie de la signature des plantes (1 : 113), la présence dès l’origine, chez les femelles, des germes qui vont engendrer la descendance (1 : 115)[[Pages citées d’après la onzième édition, de 1743.]] retiennent vraiment l’attention du biologiste contemporain par la qualité exceptionnelle des commentaires.
L’ouvrage connut un succès exceptionnel. La première édition date de 1691; les suivantes de 1692 (2e, avec additions), 1701 (3e, idem), 1704 (4e, idem), 1709 (5e, identique à la 4e mis à part l’absence de l’avertissement dans la 5e). A partir de la 6e édition, en 1714, le texte, le format (in- 8°) et la pagination resteront inchangés, bien que la présentation soit parfois un peu différente: 1717 (7e), 1722 (8e), 1727 (9e), 1735 (10e), 1743 (11e), 1759 (12e), mais il existe des éditions satellites, sans doute pirates, avec des formats et des paginations différentes, par exemple en 1744, 1750, 1756, 1758. Dans les éditions ultérieures, le texte reste inchangé, mais il y a des paginations variables: 1762 (13e), 1768, 1777 (deux éditions la même année), 1798, 1827, 1844. La réédition récente de 1969 est établie d’après une édition de 1699, différente des précédentes.
La première édition française date de 1714 et elle fut établie d’après la 5e édition de 1709; celle de 1723 n’est qu’une réimpression, mais avec un nouveau titre. La première édition allemande est de 1717; elle fut établie d’après la 6e édition de 1714. La première édition néerlandaise paraît en 1732 et elle fut établie d’après la 9e édition de 1727; la deuxième en 1765 d’après la 12e édition de 1750 (autres précisions dans Keynes, 1976).
C’est dans la discussion relative à la question de la génération spontanée que John Ray analyse critiquement le témoignage de Froidmont [[ Pages citées d’après la onzième édition, de 1743.]] C’est un texte remarquable et absolument digne des anthologies de l’histoire des sciences et en particulier de la biologie. Il commence par rappeler que la naissance des grenouilles dans les nuages ou le fait qu’elles proviendraient de la coagulation de la poussière, comme le pensait Froidmont, ne sont que des théories gratuites. Puis survient le raisonnement absurdo. Examinons, dit-il, comment se passe la génération des grenouilles de manière naturelle: il faut un mâle et une femelle… Il faut un accouplement… une fécondation… des têtards… qui se métamorphosent. A quoi servirait donc tout ce processus, inventé par le Créateur, s’il suffisait aux grenouilles de se reproduire par génération spontanée dans les nuages ou sur terre?
Ensuite John Ray accumule les arguments qui vont démontrer que de telles hypothèses ne sont pas recevables :
1° il faut beaucoup trop froid dans les nuages…
2° lors de leur chute, les animaux seraient tués ou écartelés.
C’est d’ailleurs ce qui avait conduit Froidmont à écarter la première hypothèse. Ray reproduit alors l’observation faite par Froidmont , puis il montre qu’on peut interpréter cette observation tout autrement : pour lui, les crapauds ou les grenouilles sont sortis de leur trou au moment de l’averse. Ce phénomène est comparable à ces crapauds et à ces grenouilles qui sortent le soir en été et dont on se demande d’où ils viennent. Notons que Ray présente ceci modestement, comme une simple interprétation beaucoup plus vraisemblable que celle de Froidmont.