L’essai de Chymie méchanique de G.L. Lesage
La fin du texte publié par Limbourg est un résumé, sans commentaires, du mémoire couronné, lui aussi, par l’Académie de Rouen en 1758, sous le titre « Essai de chymie méchanique » [[ Georges-Louis Lesage, Essai de Chymie Méchanique, Couronné en 1758 par l’Académie de Rouen, quant à la 2de partie de cette Question: Déterminer les Affinités qui se trouvent entre les principaux Mixtes, ainsi que l’a commencé Mr Geoffroy; & trouver un système physico-méchanique de ces Affinités, Brochure in 4° de 54 pages, sans lieu ni date de l’impression.
Un compte-rendu de cet ouvrage parut dans le Journal des Scavans, année 1762, Paris, 1762. p. 734-757. ]].
Ce système, car c’en est véritablement un, que nous venons de présenter bien plus que l’Essai, est entièrement fondé sur la notion d’attraction dont l’existence est présentée comme un fait d’observation indéniable. Mais, si l’attraction est une propriété générale des corps, dont on ne peut pas nier l’existence, pourquoi observe-t-on des répulsions tout aussi indéniables?
La réponse de Lesage à cette question primordiale est aussi le fondement de la mécanique qu’il a construite à cet effet. Relativement simple dans ses principes, elle est complexe dans ses applications. En voici l’essentiel.
Les substances sensibles, objets des études de la chimie, existent sous forme de particules plus ou moins grosses provenant de l’association de particules plus petites, mais l’auteur ne précise pas quel est le degré de cette association, et, ceci rappelle Newton, il parle de « gouttes ».
Ces particules baignent dans un fluide formé par les corpuscules nommés ultra-mondains, dont la provenance doit être cherchée hors du monde terrestre, comme leur nom l’indique; et ceci ressemble fort à la matière subtile de Descartes. Ces corpuscules très petits possèdent des mouvements subordonnés par des forces d’attractions entre eux supérieures à celles des autres particules plus grosses et terrestres. Ainsi, les corpuscules ultramondains causent, par l’impulsion due à leur propre mouvement, les mouvements des particules des corps sensibles. Leur rôle est donc fondamental pour expliquer les attractions et surtout les répulsions que l’on observe entre les corps sensibles à l’expérience.
De plus, Lesage, comme bien d’autres, refuse l’idée d’attrac-tion-répulsion à distance des particules sensibles, c’est-à-dire l’idée scandaleuse que des corps puissent agir là où ils ne sont pas. C’est pourquoi il reprend, ou conserve, l’idée d’action de contact, ceci par l’intermédiaire des corpuscules ultramondains qu’il invente dans ce but. Les particules des corps sensibles sont en réalité mues par l’impulsion qu’elles reçoivent de la part des corpuscules ultramondains lors des chocs.
A l’aide de ces hypothèses, Lesage peut appliquer ensuite les lois de l’hydrostatique à tous les phénomènes physico-chimiques. Il se réfère également aux écrits de Newton concernant la structure de la matière (par exemple « de natura acidorum») et aux œuvres des newtoniens de la première heure comme John Keill, ce que ne fait pas Jean-Philippe de Limbourg.
Lesage fait donc ici une tentative de mathématisation des phénomènes physico-chimiques, plus intéressante sur le plan philosophique que sur le plan physique.
Cité par Limbourg de manière fidèle (on peut comparer avec sa propre publication en 1762), Lesage tente donc un compromis entre les conceptions mécanistes et les conceptions newtoniennes. Son essai de chimie mécanique était voué à l’échec parce que trop éloigné des observations et de la pratique des laboratoires. Ses idées originales ne pouvaient pas être d’un grand secours aux chimistes, ni pour expliquer immédiatement leurs observations, ni pour tenter de prévoir le résultat d’une expérience, préoccupation qui commençait à les intéresser au premier chef.
En revanche, la dissertation de Limbourg, beaucoup plus près des faits observés, était plus assurée de succès auprès des chimistes. Elle ne faisait guère, nous l’avons vu, que reprendre des idées déjà exprimées et de proposer des réflexions critiques, pertinentes d’ailleurs, sur les divers systèmes d’interprétation proposés pour les affinités.
Comme d’autres, avant et après lui, Limbourg eut le grand mérite de rechercher la précision des observations, de critiquer les explications, enfin et surtout, d’utiliser la notion et le terme d’affinité, de les diffuser parmi les chimistes, de les éprouver à l’usure des expériences et des interprétations. C’est en cela surtout que nous pouvons le louer, a posteriori.