HISTOIRE DES SCIENCES ET SCIENCE-FICTION
Jean C. BAUDET
Secrétaire du Comité belge d’histoire des sciences
Samenvatting
Wetenschapsgeschiedenis en science-fiction
De geschiedenis der wetenschappen bestudeert het verleden van wetenschap en techniek, terwijl de science-fiction een beeld van hun toekomst poogt te geven. Naast dit anti-parallelisme hebben deze twee intellektuele aktiviteiten nog gemeenschappelijke kenmerken : beide zijn in de negentiende eeuw ontstaan, hebben hun eerste bloeiperiode gekend in de Verenigde Staten tijdens de jaren 1920-1930, en bekleden een tamelijk marginale positie, de wetenschapsgeschiedenis op wetenschappelijk, en de science-fiction op litterair gebied.
Abstract
History of Science and Science Fiction
History of science studies the past of sciences and techniques, while science fiction imagines the future of the « techno-science ». Beside this antiparallelism, these two activities of speculative intelligence have certain points in common. Both were born in the 19th century, and both had their first development in the United States between 1920 and 1930. Also both have a rather marginal position : that of the history of science is in relation to science proper, while that of science fiction is in relation to literature.
Faut-il prendre l’histoire au sérieux ? La réponse dépend de notre degré d’illusion sur l’homme.
E. M. Cioran, Précis de décomposition, 1949.
Vous n’avez aucun souvenir d’un monde sans robots. Il fut un temps où l’humanité affrontait l’univers seule, sans amis. Maintenant l’homme dispose de créatures pour l’aider ; des créatures plus robustes que lui-même, plus fidèles … L’humanité n’est plus seule désormais. Avez-vous jamais envisagé la situation sous ce jour ?
I. Asimov, Les robots, 1950.
C’est vrai : je suis un homme du passé, il n’y a d’homme que dupassé …
G. Hottois, Species technica, inédit.
Il nous semble qu’il sera intéressant, un jour, d’étudier la complémentarité de ces deux marginalités dans l’ordre intellectuel que sont l’histoire des sciences et la science-fiction. L’HS est marginale pour l’homme de science, comme la SF l’est pour l’homme de lettres, qui ne manque pas de dédaigner les « paralittératures ». Dédain qui se retrouve, sous d’autres modalités il est vrai, dans le monde scientifique, où les savants et les chercheurs n’ont le plus souvent, pour l’histoire de leur discipline, qu’un intérêt assez mitigé.
L’analogie est plus profonde.
Dans l’establishment des lettres, celui des Académies et de la critique littéraire « sérieuse » (car le divertissement du roman et de l’art dramatique est chose sérieuse, paraît-il), la science-fiction est un genre dédaigné. Certes, les tirages sont élevés et les éditeurs, eux, ne la dédaignent pas, mais enfin c’est une littérature « de consommation », un amusement populaire, et les vrais écrivains ne pêchent pas dans ces eaux-là. On sait que c’est aussi vrai du texte érotique, du roman policier, de la bande dessinée et du récit fantastique. C’est la grande mortification des lettres françaises de Belgique de devoir admettre l’importance de Simenon, de Hergé et de Jean Ray. Mais, ce qui pour nous compte, c’est que la SF soit un genre assez indéfinissable. Blaise Bargiac (1978), par exemple, ne parvenant pas plus que ses nombreux prédécesseurs à définir la science-fiction, la considère comme un « alliage littéraire » formé de quatre constituants: la « fictiscience » (Jules Verne), la « fantascience » (Ray Bradbury), l’« utopie-uchronie » (Aldous Huxley) et l’« insolite » (Franz Kafka).