1989 – 12(1)


Le jeu consiste à jeter un ou deux dés, à rechercher le nombre obtenu dans une table et à relever en regard de celui-ci le numéro de la mesure à laquelle il correspond. Les menuets, polonaises et trios possèdent des tables séparées. Nous reproduisons celle de la première partie de la polonaise qui comporte 6 mesures (fig. 9). A supposer que l’on ait jeté 2 dés et que l’on obtienne le chiffre 7, on recherche dans la seconde rangée en commençant par le haut (celle qui indique les valeurs de 2 à 12 que l’on peut obtenir avec 2 dés) le chiffre 7; dans la rangée 1 Dé, on lit, sous le chiffre 7, le numéro 72. Ce dernier renvoie à la mesure qui porte ce numéro. Si le deuxième jet donne le chiffre 4, le numéro de la seconde mesure relevé dans la rangée 2 Dé en dessous du chiffre 4, sera 8. A supposer que les jets suivants donnent 10 (= mes. n° 143), 8 (= mes. 87), 3 (= mes. 52) et 12 (= mes. 154), on obtiendrait la polonaise de la figure 10.

Table des Dés, pour les Polonoifes, pour la première Partie.

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Fig. 9
Table de nombres pour la composition des polonaises de 6 mesures à l’aide de un ou de deux dés, extraite de Johann Philipp KIRNBERGER, L’art de composer des menuets et des polonaises sur le champs, Berlin 1757.

On comprend que toutes les mesures qui correspondent à la rangée 1 Dé (70, 10, 42, 62, 44, etc.) doivent être écrites de manière à pouvoir s’enchaîner à n’importe quelle mesure de la rangée 2 Dé (34, 24, 6, 8, 38, etc.), que celles-ci, à leur tour, doivent pouvoir s’enchaîner à n’importe quelle mesure de la rangée 3 Dé (68, 50, 60, 36, etc.), et ainsi de suite. Il en est de même des cellules de deux mesures qui composent le thème et les sept variations notées côte à côte sur les cylindres du Componium. Alors que dans le jeu de Kirnberger, les cellules consistent en une seule mesure; sur le Componium, les cellules comportent deux mesures, ce qui laisse la possibilité d’effectuer quelques petites modulations fugitives à l’intérieur des deux mesures, avant de revenir au ton d’enchaînement. Si l’on examine attentivement toutes les mesures numérotées qui apparaissent sur les 29 pages de musique, on s’aperçoit que Kirnberger a en fait composé une polonaise et un menuet avec 10 variations chacun; il a ensuite segmenté les différentes variations et camouflé le tout dans une table numérique. Tous les menuets sont en ré majeur, avec une progression harmonique constante et identique. Les trios qui suivent les menuets sont en ré mineur et répondent aux mêmes exigences d’uniformité harmonique. En réalité, seule la méthode offre un véritable changement. On totalise 11 6 combinaisons pour les polonaises de 6 mesures; 11 8 combinaisons pour les polonaises de 8 mesures; 11 32 possibilités pour les menuets avec trios. L. Ratner fait remarquer que la population entière de l’Europe aurait pu passer une existence à jouer les pièces sans en épuiser les combinaisons [[L. RATNER, op. cit., p. 344. ]]. Kirnberger demanda lui-même à un mathématicien du nom de Gumpertz, de calculer le nombre des combinaisons qui pouvaient être produites et celui-ci arriva au résultat de 1 trillon[[Voir l’Avertissement publié en tête de l’ouvrage. Rien de surprenant à ce que le musicologue Charles Burney accusa Kirnberger d’être « more ambitious of the caracter of an algebraist, than a musician of genius » (Ch. BURNEY, The present State of Music in Germany, the Netherlands, and the United Provinces, t. II, Londres, 1775, p. 213). ]].

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Fig. 10
Exemple de polonaise obtenue par le jeu musical de J. Ph. Kirnberger.

Un jeu semblable, édité à Paris en 1758 sous le titre Ludus melothedicus ou jeu de dez harmonique, franchit une étape supplémentaire dans la fragmentation, en isolant non plus chaque mesure, mais chaque note.

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