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Mais a-t-on idée de lâcher Paris pour Liège ? En ce temps-là, et la situation n’est pas tellement différente aujourd’hui, une activité scientifique assidue
ne nourrissait guère son homme, elle réclamait d’ordinaire l’adjuvant de quelque
charge professorale, de préférence dans l’enseignement supérieur. C’est ici,
malheureusement, que le bât blessait. Non pas que le talent pédagogique de
Catalan fût chétif ou mis en doute, bien au contraire, et j’en donnerai plus loin
des témoignages. Mais il affichait, à peine sorti de l’enfance, des convictions
républicaines passablement avancées, dont on imagine sans peine l’effet sur
une carrière professorale sous le règne de Louis-Philippe. En 1848, quand advint la république de ses rêves, Catalan était tout de même répétiteur à l’Ecole Polytechnique, à quoi s’ajouta illico le titre d’examinateur. Cependant, à côté de son idéal révolutionnaire, il cultivait jalousement un caractère entier jusqu’à l’obstination. Un beau jour de 1850, informé de l’obligation nouvelle d’assister régulièrement au cours du professeur titulaire de la géométrie descriptive, il refusa tout net en invoquant les meilleures raisons du monde, à la suite de quoi le gouvernement républicain le révoqua tout aussi net. Le coup de grâce devait lui être porté par la prise de pouvoir de Napoléon III. Après le 2 décembre 1851, Catalan ne prétendit pas prêter le serment de fidélité au nouveau régime et se vit retirer ses charges d’enseignement au Lycée Saint-Louis et au Lycée Charlemagne.
Relégué désormais dans des écoles privées du niveau secondaire, il vit encore, raffinement suprême, l’une d’elles acculée à la fermeture par les travaux d’embellissement de Paris, sous le préfet Haussmann. C’est ainsi qu’il végétait tristement lorsque, en 1865, une offre lui parvint de l’Université de Liège. L’affaire fut menée si rondement qu’il se retrouva, quelques jours plus tard, professeur ordinaire d’analyse mathématique et de probabilités.
Si le régime politique de son pays d’adoption restait bien éloigné de son
idéal, Catalan eut la sagesse de s’en accommoder et, à l’occasion, de le comparer avantageusement à celui de la France. Avec un peu plus de retenue dans l’étalage de ses convictions, il ne perdit pas de vue ses anciens compagnons de lutte, dont certains, tels Freycinet et Lazare Carnot, ont exercé après la chute de l’Empire des fonctions ministérielles.
Du conflit qui secoua la France entre juillet 1870 et mai 1871, Catalan
fut un spectateur privilégié, en raison des nouvelles qu’il recevait de ses correspondants des deux sortes, les scientifiques et les politiques. Si la plupart de ces informations ne nous apprennent actuellement plus grand-chose, deux épisodes révèlent cependant des faits nouveaux. Commençons par celui qui met en scène un aérostat.
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Parmi les lettres reçues par Catalan en l’an de disgrâce 1870, celle qui
porte le n° 378 (dans le classement de Hoyoux, 1974) contient le texte suivant, hâtivement griffonné sur six pages :
Mon cher maître,
Je vous demande pardon de ne vous avoir point été voir à Liège mais cela
m’a été tout à fait impossible car je devais partir sans délai pour l’angleterre,
ou je suis encore en ce moment. Je prépare une grande opération aéronautique pour tenter le retour à Paris en profitant des courants aériens. J’ai acheté le grand ballon de Coxwell et je vais me rendre à Lille ou j’arriverai ce Lundi en 8. De la je me dirigerai sur la station qui me paraîtra la plus favorable pour attendre le vent du Nord-Est et me lancer de nouveau dans l’atmosphère. Etes-vous bien avec M. quetelet le Directeur de l’observatoire de Bruxelles et pouvez vous lui demander s’il veut m’aider de ses conseils. Peut-être à l’université de Liège avez-vous quelque collègue qui pourrait me rendre ce service. Je n’ai pas besoin de vous dire qu’il s’agit d’une tentative toute patriotique. Le surplus des fonds s’il y en a sera employé à servir les intérêts de la république, et je ne recevrai aucune indemnité que strictement
les frais nécessaires.
La plus grande difficulté est de reconnaître rapidement, exactement le lieu
de la surface terrestre où tombe la verticale de l’aérostat. Pour cela il faut
de bonnes cartes que l’on ait étudiées à l’avance et sur laquelle on ait noté
les points remarquables, rivières, ponts, chemin de fer, etc., etc. Il faut en
outre d’excellentes jumelles douées d’un très grand pouvoir grossissant. Je
pense que deux lunettes astronomiques accouplées produiraient un excellent effet, et que l’inconvénient de renverser les objets serait assez insignifiant dans la recherche des points de repère indispensables pour la réussite
de mon expédition. Je ne compte me servir d’aucun moyen de propulsion
mettant tout mon espoir dans l’aéronautique pure et simple et dans la météorologie. Si vous pouvez m’aider de vos conseils je recevrai vos avis avec le plus grand plaisir et la plus grande reconnaissance.
Pouvez vous faire la demande à Quetelet en mon nom ? Je compte partir le
matin un jour clair et froid sans nuages, ou avec des nuages très élevés au
delà de la couche dans laquelle je compte pénétrer.
Je crois que vous pouvez me repondre encore en Angleterre mais si votre
réponse met deux ou trois jours à être ecrite, il vaut mieux me l’adresser
Poste restante à Lille où sera mon quartier général. Je n’ai pas de nouvelles
directes de mes frères qui ignorent où je suis mais je sais par les journaux
qu’ils n’ont point été tués dans les dernières sorties. Mes amitiés à Madame.
Vive la République universelle.
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[1] Bull. Soc. roy. Bot. Belg. 119, fascicule 1 (sous presse).
[2] Lors de la séance du 2 avril 1986.
[3] C’est dans d’autres circonstances qu’un an plus tôt, le 4 septembre 1870, Napoléon avait
traversé Liège en train spécial : il se rendait à son lieu de captivité, le chateau de Wilhelmshöhe.
[4] Franceschini Pietri, le secrétaire attitré de Napoléon III, avait accompagné celui-ci à Wilhelmshöhe, puis, le 19 mars 1871, en Angleterre.
[5] Il n’était pas question d’incognito lors du premier séjour d’Eugénie de Montijo à Spa, en
1849, quatre ans avant son mariage avec Napoléon III.
[6] Pages de l’édition posthume de 1656, mais le fait est déjà mentionné dans l’édition de 1627.
[7] Pages citées d’après la onzième édition, de 1743.
[8] Pages citées d’après la onzième édition, de 1743.