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POUR UNE HISTOIRE DE LA PROFESSION D’INGENIEUR EN BELGIQUE

Jean C. BAUDET
Secrétaire du Comité belge
d’histoire des sciences

Résumé

Aux débuts du Royaume de Belgique (1830), celui-ci ne possédait que deux Ecoles d’ingénieurs, annexées respectivement à l’Université de l’Etat à Gand et à l’Université de l’Etat à Liège. Actuellement, 37 Ecoles forment, au niveau universitaire, des ingénieurs de différents grades (ingénieurs industriels, ingénieurs agronomes, ingénieurs civils, etc ... ). Après avoir retracé les grandes étapes de cette multiplication des Ecoles (surtout en Belgique francophone), l’auteur propose une analyse de la profession d’ingénieur comme contribution à l’histoire (contemporaine) des techniques.

Samenvatting

Het koninkrijk België beschikte bij zijn ontstaan (1830) over slechts twee scholen voor ingenieurs. Deze waren verbonden aan de rijksuniversiteiten te Gent en te Luik.
Tegenwoordig worden verschillende kategorieën ingenieurs (industriële ingenieurs, landbouwingenieurs, burgerlijke ingenieurs, enz.) gevormd aan 37 scholen van universitaire rang.
De auteur schetst de grote lijnen waarlangs deze uitbreiding zich voltrokken heeft, vooral voor het Franstalige landsgedeelte. Daarna geeft hij een analyse van het beroep van ingenieur als bijdrage tot de (hedendaagse) geschiedenis der techniek.

Abstract

In the beginning of its creation (1830), the Kingdom of Belgium did possess but two engineering schools, one attached to the State University of Ghent, the other to the State University of Liège.
In the time being 37 schools train, on a university level, engineers of different disciplines (industrial engineers, agricultural engineers, civil engineers, etc ... ). After tracing the important steps in the creation and development of these schools (especially in French-speeking Belgium), the author suggestes an analysis of the profession of engineer as a contribution to the history (contemporary) of technology.

La démission morale des chefs est une des conditions indispensables du processus révolutionnaire.
Lénine.

La science, la pensée, l’art, la culture, ne sont possibles que si certains hommes disposent des loisirs indispensables, en imposant aux autres une peine accrue.
Maurice Duverger

L’étude scientifique de la profession d’ingénieur peut être organisée de bien des façons [1]. Nous proposons de structurer notre approche suivant la série « passé, présent, avenir », qui présente, nous semble-t-il, non seulement le mérite de la simplicité mais aussi celui d’éclairer les relations qui existent (ou devraient exister) entre ces disciplines distinctes mais parentes que sont l’histoire des techniques (Baudet, 1981b), la sociologie des professions, l’archéologie industrielle, la prospective économique, etc.

L’étude du passé de la profession d’ingénieur est un chapitre qui devrait être important (Baudet, 1979b) de l’étude « diachronique » du « complexe » science, technologie, industrie. L’histoire des sciences,
l’histoire des techniques, l’histoire de l’industrie (que l’on appelle généralement archéologie industrielle, voir Baudet, 1979a), mais aussi l’histoire de l’enseignement supérieur [2], et en fait l’histoire sociale et
économique tout entière, ont besoin de prendre en considération cette classe singulière d’hommes et de femmes que forment les ingénieurs. Acteurs tout à fait privilégiés du progrès technique et de l’essor industriel, ils sont assez curieusement négligés par de nombreux auteurs.
C’est une simple constatation tempérée cependant par l’apparition, récemment, de travaux intéressants, parmi lesquels nous citerons Bauer et Cohen (1980), Benthuys (1981), Blanchard (1979, 1981),
Lintsen (1980), Shinn (1978), Thuillier (1981).

[1Le présent texte reprend, avec quelques modifications, le contenu d’une conférence donnée le 20 février 1984 aux étudiants d’ingéniorat (3ème et 4ème années) de l’ISIB, Institut Supérieur Industriel de l’Etat à Bruxelles, dans le cadre des « Conférences de l’AIIBr ».
L’auteur remercie ceux de ses confrères qui ont bien voulu enrichir la discussion qui a suivi l’exposé en faisant part à l’auditoire du fruit de leurs réflexions et de leur expérience professionnelle. Parmi ceux-ci, il tient à citer tout spécialement MM. Jacques Dewez, président de l’UFI (Union francophone des Ingénieurs industriels et Ingénieurs techniciens de Belgique). Jacques Dupont, secrétaire général de l’UFI, et Paul Fontaine, président général de l’AIIBr.

[2Il convient de signaler ici les travaux du Centre européen pour l’enseignement supérieur (CEPES, 1981).

[3Voir note 1.

[4L’hypocrisie, on le sait, est la grande vertu bourgeoise.

[5Cette question est très intéressante pour l’histoire des sciences en Belgique ; il serait utile d’étudier les rapports entre la réforme du doctorat en sciences et la création des structures importantes pour l’organisation de la recherche scientifique : Fondation universitaire (1920), Fonds national de la recherche scientifique (1928), Fondation Francqui (1932). Par ailleurs, cette question purement historique peut alimenter la problématique de la création d’un doctorat en sciences industrielles pour
ingénieurs (voir AIIBr, 1981, p. 32, Rev. Ing. Belg., 1980 : 2, p. 73) .

[6L’Ecole Centrale des arts et manufactures de Paris fut créée en 1829, Mortimer d’Ocagne, qui fit paraître en 1887 un ouvrage important sur les Ecoles françaises, dira notamment :
«  On a cherché à établir un parallèle entre l’Ecole Centrale et l’Ecole Polytechnique. Leurs conditions ne sont pas les mêmes ( .. .) A l’Ecole Polytechnique, on fait de la théorie transcendante ; à l’Ecole Centrale, on fait de la théorie et de l’application. Enfin, point capital ( .. .) l’Ecole Centrale livre un ingénieur en trois années ; il en faut cinq à l’Ecole Polytechnique ( .. .). C’est une sorte d’axiome aujourd’hui reçu, qu’à l’Ecole Centrale l’entrée est plus facile qu’à l’Ecole Polytechnique, mais qu’en revanche la sortie est plus difficile ».

[7Pierre Thuillier (1982) a fort bien analysé cette « institutionnalisation » et ces « cloisonnements » dans un livre dont l’intérêt n’est pas qu’historique ; nous nous permettons de renvoyer le lecteur à notre compte rendu (Baudet, 1983) ; voir aussi van Welsenaer, 1983.

[8On trouvera la liste de ces 19 Ecoles dans Rev. Ing. Belg. 5(3) : 53. Le tableau publié par cette revue est entaché d’une erreur : l’Université libre de Bruxelles forme des ingénieurs agronomes dans sa Faculté des Sciences, et non dans une Faculté des Sciences agronomiques. Le plupart de ces Ecoles (ainsi d’ailleurs que certaines Ecoles flamandes) font l’objet d’une notice dans SEFI, 1983.

[9Les ingénieurs-conseils sont fort peu nombreux en Belgique. Ils sont membres soit de la CICB (Chambre royale des Ingénieurs-conseils de Belgique), soit de l’ABIC (Association royale belge des Ingénieurs-conseils).

[10Technologiste, voire même techno-logicien, ne sont pas mal non plus.

[11Pas seulement la rationalité technique, conduisant à la technocratie naïve. C’est la rationalité « écolo-technico-socio-financière » qui est visée, puisque toute action industrielle (c’est-à-dire de production) implique le quadruple apport des ressources naturelles, du savoir, du travail et du capital.

[12L’expertise judiciaire, au cours de laquelle l’« intervention » a une portée juridique particulière, est étudiée par Muller (1982).

[13L’étude des groupes de pression en Belgique est passionnante mais extrêmement vaste, son champ dépassant considérablement celui, pourtant déjà étendu, de l’histoire de la science, de la technologie et de l’industrie. L’ouvrage de Claeys (1973), qui fait figure de classique, ne traite que du patronat et des syndicats.

[14Rev.Inform. FABI n°1 (1937), p. 13.

[15L’UNIT a fêté son cinquantenaire le 18 novembre 1983 à Bruxelles, en présence du Roi Baudouin et de plusieurs Membres du Gouvernement (Rev. Ing. Belg. 5(4) : 67-68).

[16 Voir note 1.



















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