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L’étude du tracé dura de 1823 à 1827 et la construction fut entreprise à partir du 2 avril 1827. Les travaux devaient s’étendre sur cinq ans. Ils furent entamés à la crête de partage de Bêtrefaite ;
onze écluses de 2,40 m de hauteur de chute vers Charleroi et 44 vers Bruxelles étaient nécessaires. La section du canal et le tonnage des bateaux à y faire circuler avaient agité bien des esprits.
Dans un calme olympien, Vifquain fit un calcul d’optimisation et conclut qu’un chaland de 70 t était le plus adéquat. Mais il fit plus encore ; de sa main, il dressa les plans de ce chaland, connu
sous le nom de « baquet de Charleroi », dont on en construisit environ 440 en Belgique. Le 25 septembre 1832, malgré des difficultés de terrain, la révolution et le manque d’argent, le canal qui
apportait le charbon de Charleroi à Anvers et au Brabant était solennellement inauguré. Par la canalisation de la Sambre, Vifquain avait réuni en 1829 les bassins de la Meuse et de l’Escaut par
une bonne voie d’eau.
Pendant l’achèvement du réseau des voies d’eau, Vifquain avait établi les plans et construit l’hôpital de Tirlemont, mais surtout, il avait joué un rôle important dans la révolution. Dans son quartier,
il etait un homme en vue ; il avait été conseiller communal de Saint-Josse-ten-Noode de 1825 à 1828 et sa maison était considérée comme une des plus belles demeures de toute la ville. Lors
des journées de septembre 1830, il se trouvait dans le no man’s land entre les troupes belges et celles du prince Frédéric, le fils cadet du roi Guillaume, prince fanfaron et très monté contre ces révolutionnaires belges. Vifquain fut un des trois parlementaires qui s’entremirent entre les deux parties et arrachèrent, finalement, la décision de repli des troupes hollandaises.
Vifquain, qui avait soif d’action, se lançait inlassablement dans des projets nouveaux. Déjà en 1829, il avait fait un projet de chemin de fer entre Bruxelles et Anvers pour Cockerill et le baron
Coppens. Le tracé prévoyait le terminus à la place Rogier, en face de laquelle il venait de tirer la rue Neuve pour pénétrer au centre de Bruxelles. Le roi de Hollande ne retint pas ce projet. En
1832, soutenu par les Vicomtes Vilain XIIII, Vifquain présentait un nouveau tracé Bruxelles-Anvers aboutissant également place Rogier. Les Ministres ne le retinrent pas ; en fait, dès les premiers
jours de 1831, nos Ministres échafaudaient, pour la première fois au monde, le projet d’un chemin de fer reliant le bassin industriel du Rhin, à Cologne, aux ports d’Anvers et d’Ostende, en
passant par les principaux centres industriels et commerciaux du pays, tout en restant en territoire belge. Le centre du chemin de fer était Malines et la capitale n’était pas prévue
sur le tracé.
Léopold Ier saisit tout de suite l’importance économique du nouveau moyen de transport et le fit compléter par des voies en direction de la frontière française, par Mons, et en direction de Namur
et de Luxembourg.
On commença par le tronçon Malines-Bruxelles, car les habitants de cette dernière ville firent valoir la part prépondérante qu’ils avaient prise dans la révolution de 1830 et l’on se disait qu’en un
an, il y aurait bien 100.000 passagers, ce qui rapportait de l’argent. Inauguré le 5 mai 1835, le chemin de fer avait transporté 450.000 passagers au 31 décembre de la même année !
Simons et Deridder, les deux subordonnés de Vifquain chargés de la construction du chemin de fer, étaient appuyés par les ministres Frère-Orban, Rogier et Lebeau. Vifquain était loin d’être
d’accord avec toutes les idées émises. Il y avait deux gros points de dissension. La ligne vers Cologne ne devait pas passer par Liège, car la vallée de la Meuse était d’un accès trop difficile ;
c’était vrai, mais Henri Maus résolut le problème en 1842. Autre argument : Liège devait vendre son charbon dans le bassin liégeois, à la Hollande et à la Prusse. Il n’avait pas à concurrencer les
charbons du Hainaut dont les clients naturels étaient Bruxelles, Anvers, Malines et Louvain. Organiser la concurrence était la ruine des firmes, donc la misère du peuple !
On passa outre à ces idées, mais un argument fut retenu.
L’emplacement du terminus à l’Allée Verte était mal choisi, car il profitait à la commune de Molenbeek, qui prospérait au détriment de la ville de Bruxelles.
En 1841, la gare du Nord était déplacée à la place Rogier, face à la rue Neuve et Léopold Ier décorait de l’ordre de Léopold son inspecteur général des Ponts et Chaussées.
D’autres travaux importants furent encore mis en chantier par Vifquain ; ainsi la rue des Palais, en 1833, pour faciliter les déplacements du Roi entre son Palais de Laeken et celui de Bruxelles.
Pour la réaliser, Vifquain et son ami le notaire Hermans, bourgmestre de Schaerbeek, avaient fondé une « Société de la rue des Palais », alimentée par la perception d’un demi octroi sur tous les
convois qui y passaient et de deux centimes par personne franchissant le pont de la Senne. Ce fut une source de bons revenus pour les deux promoteurs.
[1] prodrome d’une notice qui paraîtra dans la Biographie nationale de Belgique (NDLR).
[2] Lire, sur la question de l’urgence de publier, l’article de Gaston (1972) dans La Recherche.
[3] Les techniques sont des modes d’appropriation du monde : le ciel est à qui sait voler (de Beauvoir, 1944.)
[4] Les questions de vocabulaire se compliquent encore (à moins qu’elles ne s’éclaircissent) quand on prend en considération les usages anglo-saxons. Il est indéniable que l’usage actuel, en français,
du mot technologie vient partiellement d’une contamination par l’anglais (Saint-Sernin, 1976).
[5] C’est la définition de l’homme que l’on trouve chez Jean Rostand (1954), qui précise : petit-fils de poisson, arrière-neveu de limace, bête saugrenue qui devait inventer le calcul intégral et rêver de justice.
[6] L’expression se trouve chez Bachelard, et s’adresse plutôt à la science. C’est que le mot appliqué n’est pas, dans l’épistémologie de l’Ecole française, utilisé dans sa pleine acception.
[7] Désirs. Ce mot, qu’il est impossible de ne pas rapprocher du mot péché, nous éclaire sur la suspicion ou le mépris qui s’attachent à la technique dans certaines cultures. Voir Tovmassian, 1976,
qui analyse l’attitude « idéaliste-bourgeoise » face au travail, sans aller à l’essentiel, étant prisonnier d’un système de pensée qui n’incite guère à la réflexion personnelle ; voir aussi Auzias, 1964, plus
subtil.
[8] Et autres spécialistes de formation à dominante juridique et littéraire : sociologues, économistes.
[9] Quand il existe. Il n’y en a pas, nous l’avons déjà dit, du moins de jure (c’est-à-dire avec grade et diplôme) en Belgique. D’autres pays, où le nombre d’établissements de niveau
universitaire par km² est moins élevé que chez nous, en produisent d’excellents. L’hybridation est délicate. Je ne sais plus qui disait que la médiocrité de la science des philosophes n’a
d’égale que l’inanité de la philosophie des savants. Un autre disait que l’historien des techniques parle d’histoire avec les techniciens et de technologie avec les historiens, ce qui est fort
confortable.
[10] Il faudrait étudier l’association d’idées « technologie-machine », qui révèle une conception singulièrement rétrécie (et erronée) de la technologie.
[11] Il faut aussi prendre en considération les territoires : archéologie américaine pré-colombienne, extrême-orientale, etc. Cela a son importance pour l’archéologie industrielle : est-ce uniquement de l’Occident qu’il s’agit ?
[12] Pour la position épistémologique de l’archéologie industrielle et de l’archéologie contemporaine, nous nous permettons de renvoyer à notre article : Baudet, 1979.
[13] Pendant plus de 11 ans, j’ai exercé la fonction de dessinateur d’études à ladite société ; j’y étais également délégué syndical et membre de la commission de sécurité et d’hygiène.
[14] Cet historique complètera les travaux déjà publiés sur les laminoirs de la région :
Hansotte, 1955 ; Hansotte et Hennau, 1979.
[15] Hier moet onderstreept worden, dat Prof. ir. Quintyn de uitgever is van het tijdschrift Sartonia, gewijd aan de geschiedenis van de wetenschap en techniek. Sartonia en Technologia zijn de enige Belgische tijdschriften die zich met deze discipline inlaten.