4(2)
Jean-Baptiste Vifquain [1]
est un de nos plus grands ingénieurs, si pas le plus grand, de la première moitié du XIXe siècle. Né de parents pauvres, le 24 juin 1789 à Tournai, il s’engagea dans les armées
de Napoléon, prit part à la compagne d’Autriche en 1809 et à l’occupation de la Hollande de 1810 à 1812.
Trouvant le temps long, il étudia par lui-même les mathématiques et obtint la permission de présenter l’examen d’admission à l’Ecole Polytechnique, à Paris. Classé en ordre utile, il fut admis le 1er
novembre 1812, promu lieutenant d’artillerie et diplômé ingénieur polytechnicien le 31 octobre 1814, après avoir suivi les cours du célèbre architecte J.L.N. Durant, tout en combattant pendant trois mois
pour la défense de Paris, et ayant encouru une blessure au bas-ventre au combat de Nangis.
Orphelin depuis 1810, il revint à Tournai, où son oncle Louis lui procura la place d’inspecteur de l’octroi à la date du 1er décembre 1814. Pas pour longtemps, car dès la défaite de Napoléon à Waterloo,
il se précipita à Bruxelles et, le 7 juillet 1815, fut engagé au Waterstaat pour les services de la Province de Brabant, avec résidence à Bruxelles.
En octobre 1818, Guillaume Ier, roi de Hollande, organisait un concours pour l’aplanissement des murailles de Bruxelles, l’agrandissement et l’embellissement de la ville et l’organisation de sorties vers
les principales villes voisines. Le résultat fut proclamé à la fin décembre et Jean-Baptiste Vifquain en était le lauréat. Il a dressé les plans de ce qui est connu sous le nom de « petite ceinture », avec un
devis détaillé vraiment exemplaire et des plans minutieux existant toujours aux archives de la Ville de Bruxelles.
En 1819, il participa au concours du monument à ériger à Waterloo ; ce fut Vanderstraeten qui l’emporta, mais Vifquain fut chargé de l’exécution, tout en surveillant les travaux des boulevards de ceinture.
Une tâche nouvelle attendait notre homme. Guillaume Ier, pour éviter les taxes imposées aux bateaux belges passant par Condé, avait décidé de construire un canal en territoire belge entre le
canal Mons-Condé et l’Escaut. Cette étude n’avançait pas. Vifquain fut attelé à la solution de ce problème le 9 décembre 1820. Une question importante était l’approvisionnement en eau du canal dans le
bief le plus élevé ; ceci impliquait l’étude des bassins versants, des hauteurs annuelles des pluies et de l’alimentation au moyen d’eau prélevée dans les rivières voisines par des vis d’Archimède entraînées
par machine à vapeur. Au début de 1823, quatre variantes furent présentées et le choix se porta sur le tracé de Pommeroeul à Antoing. Les travaux entamés en 1823 furent achevés le 26 juin 1826 et,
pour l’évacuation des déblais, on se servit, pour la première fois en Belgique, d’un « chemin à ornières en fer » à traction chevaline.
Cependant, tout ceci ne suffisait pas encore pour l’activité incroyable déployée par Jean-Baptiste Vifquain. A Basel, pour compte du vicomte Vilain XIIII, il construisit en 1824 le premier pont suspendu en
fer de Belgique au-dessus de l’étang du château. La même année, en France, Marc Seguin faisait de même. On cite ce pont ; pourquoi pas celui de Vifquain ? Les Belges seraient-ils vraiment si ingrats
envers leurs grands hommes ?
Toujours à l’époque hollandaise, Vifquain tira la rue Royale, du Treurenberg au Boulevard, en déplaçant la porte de Schaerbeek de 100 m. La rue Royale extérieure fut le prolongement de la rue Royale,
depuis la porte de Schaerbeek jusqu’à la place de la Reine. Et de belles demeures vinrent s’établir le long de cette nouvelle artère, dont notamment celle de Jean-Baptiste Vifquain, en face du Jardin
Botanique. L’actuelle maison des Jésuites et l’église du Gesu ont été édifiées sur les terrains de la propriété Vifquain. Dans ce quartier, la place des Barricades fait également partie de son œuvre et
remonte à 1824.
Mais, il y avait encore une tâche plus importante qui l’attendait. Le canal Bruxelles-Charleroi était réclamé depuis deux siècles pour réduire le prix de revient du charbon à Bruxelles, Anvers, Louvain et
Malines. Tiré en chariots à chevaux par les routes défoncées par la bataille de Waterloo, le prix de la houille s’avérait trop élevé. De 1823 à 1827, Vifquain se lança dans l’étude de cette voie d’eau. Un
gros problème se posait à la crête de partage de Bêtrefaite : comment passer et comment alimenter le canal en eau ? Après étude des bassins versants et des hauteurs annuelles des chutes pluviales, il
décida de traverser la colline à Bêtrefaite par un tunnel de 1.353 m de long. Ce fut un exploit pour l’époque, car jamais un canal n’avait franchi un aussi mauvais terrain. Tous les 100 m, il fallait une bouche d’aérage et les éboulements étaient nombreux.
[1] prodrome d’une notice qui paraîtra dans la Biographie nationale de Belgique (NDLR).
[2] Lire, sur la question de l’urgence de publier, l’article de Gaston (1972) dans La Recherche.
[3] Les techniques sont des modes d’appropriation du monde : le ciel est à qui sait voler (de Beauvoir, 1944.)
[4] Les questions de vocabulaire se compliquent encore (à moins qu’elles ne s’éclaircissent) quand on prend en considération les usages anglo-saxons. Il est indéniable que l’usage actuel, en français,
du mot technologie vient partiellement d’une contamination par l’anglais (Saint-Sernin, 1976).
[5] C’est la définition de l’homme que l’on trouve chez Jean Rostand (1954), qui précise : petit-fils de poisson, arrière-neveu de limace, bête saugrenue qui devait inventer le calcul intégral et rêver de justice.
[6] L’expression se trouve chez Bachelard, et s’adresse plutôt à la science. C’est que le mot appliqué n’est pas, dans l’épistémologie de l’Ecole française, utilisé dans sa pleine acception.
[7] Désirs. Ce mot, qu’il est impossible de ne pas rapprocher du mot péché, nous éclaire sur la suspicion ou le mépris qui s’attachent à la technique dans certaines cultures. Voir Tovmassian, 1976,
qui analyse l’attitude « idéaliste-bourgeoise » face au travail, sans aller à l’essentiel, étant prisonnier d’un système de pensée qui n’incite guère à la réflexion personnelle ; voir aussi Auzias, 1964, plus
subtil.
[8] Et autres spécialistes de formation à dominante juridique et littéraire : sociologues, économistes.
[9] Quand il existe. Il n’y en a pas, nous l’avons déjà dit, du moins de jure (c’est-à-dire avec grade et diplôme) en Belgique. D’autres pays, où le nombre d’établissements de niveau
universitaire par km² est moins élevé que chez nous, en produisent d’excellents. L’hybridation est délicate. Je ne sais plus qui disait que la médiocrité de la science des philosophes n’a
d’égale que l’inanité de la philosophie des savants. Un autre disait que l’historien des techniques parle d’histoire avec les techniciens et de technologie avec les historiens, ce qui est fort
confortable.
[10] Il faudrait étudier l’association d’idées « technologie-machine », qui révèle une conception singulièrement rétrécie (et erronée) de la technologie.
[11] Il faut aussi prendre en considération les territoires : archéologie américaine pré-colombienne, extrême-orientale, etc. Cela a son importance pour l’archéologie industrielle : est-ce uniquement de l’Occident qu’il s’agit ?
[12] Pour la position épistémologique de l’archéologie industrielle et de l’archéologie contemporaine, nous nous permettons de renvoyer à notre article : Baudet, 1979.
[13] Pendant plus de 11 ans, j’ai exercé la fonction de dessinateur d’études à ladite société ; j’y étais également délégué syndical et membre de la commission de sécurité et d’hygiène.
[14] Cet historique complètera les travaux déjà publiés sur les laminoirs de la région :
Hansotte, 1955 ; Hansotte et Hennau, 1979.
[15] Hier moet onderstreept worden, dat Prof. ir. Quintyn de uitgever is van het tijdschrift Sartonia, gewijd aan de geschiedenis van de wetenschap en techniek. Sartonia en Technologia zijn de enige Belgische tijdschriften die zich met deze discipline inlaten.