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La deuxième étude, de M.-N. Chamoux, aborde également, à l’occasion d’une investigation quasi ponctuelle, un problème d’une portée très générale. Le titre laisse même croire qu’il s’agira de faire le point de la question : La transmission des savoir-faire : un objet pour l’ethnologie des techniques ? Mais l’auteur sera loin d’épuiser la question, l’une des plus passionnantes de l’histoire des techniques, celle de la transmission de la connaissance technique.

En fait, Chamoux se limite à l’étude des méthodes d’apprentissage, chez les Nahuas (Mexique), surtout de deux techniques : la broderie et le tissage. Mais cette limitation ne l’empêche pas de formuler quelques remarques de portée générale, et de critiquer certains concepts ou points de vue de l’ethnologie des techniques. Très judicieusement, par exemple, l’auteur remarque que si, depuis Leroi-Gourhan, on dispose d’assez nombreuses classifications des outils et des procédés (étude des rapports à la matière), en revanche on ne possède que peu d’études systématiques sur les rapports entre techniques et culture. C’est ce constat de relative carence qui conduisit l’auteur à s’intéresser aux savoir-faire techniques, qui intègrent d’emblée des dimensions " purement" techniques et des dimensions socio-culturelles.

Autre considération théorique : l’opposition entre savoir-faire incorporés et savoir-faire algorithmisés, due à Y. Barel, est reprise et fournit un cadre conceptuel adéquat au problème qui occupe l’auteur. Un savoir-faire incorporé est indissociable d’individus concrets ; il n’est donc transmissible que par apprentissage et non par enseignement. Un savoir-faire algorithmisé, par contre, est analysable et peut être « déposé » dans un support non-humain (texte, croquis ...).

Chez les indiens Nahuas, l’étude de la transmission des savoir-faire conduit à l’examen d’une autre question également centrale en histoire des techniques, la division du travail. Chamoux distingue en effet des savoir-faire généraux et particuliers et, bien sûr, masculins et féminins. La broderie, par exemple, est un savoir-faire féminin général (toutes les femmes nahuas ayant appris la broderie, introduite par les Européens au XIXème siècle), alors que le tissage est un savoir-faire féminin particulier, puisque seules des spécialistes s’y adonnent.

La transmission des savoir-faire peut se réaliser suivant deux modes : par imprégnation ou par un maître. Dans le premier cas, c’est la collectivité qui enseigne, il n’y a pas de véritable relation spécifique d’apprentissage.

Ce travail, il faut le signaler, est l’occasion d’une description du métier à tisser à ceinture, d’un réel intérêt pour les historiens du textile, qui trouveront également des données précieuses dans l’étude suivante.

Cette troisième étude : Linguistique et technologie culturelle, l’exemple du métier à tisser vertical berbère, de C. Lefébure, montre, s’il le fallait, ce que les recherches lexicographiques peuvent apporter à l’histoire des techniques. L’auteur a étudié, au Maroc, le vocabulaire berbère se rapportant au tissage, et spécialement le métier vertical, dont la description est accompagnée de quelques illustrations. Il s’agit d’un métier à tisser vertical, à deux ensouples, du type qui a remplacé, vers le premier siècle a. c., chez les Romains, le métier à un ensouple et à poids. La question de l’origine (latine, berbère ou orientale ?) du métier « nord-africain » est débattue, et les arguments linguistiques inclinent à admettre une origine berbère de cette invention.

L’auteur exploite encore dans un autre sens les nombreuses données qu’il a recueillies, par une étude très serrée des connotations des termes techniques concernés, ce qui apporte une lumière très vive sur la manière dont les Berbères conçoivent le travail. Comme le dit très justement l’auteur : la description technique ne saurait beaucoup servir la technologie culturelle si elle devait se borner (...) à l’enregistrement des seuls chaînons opératoires les plus évidemment productifs. C’est la même option scientiste (...) qui fait négliger dans le discours les connotations et dans les processus techniques leurs « pauses » symboliques. Sauf raisons majeures, l’indigène, lui, ne distingue pas.

J.C. Baudet

Richard E. AHLBORN, ed. (1980)
Man made mobile, early saddles of Western North America.
Smithsonian Studies in History and Technology, number 39.
Smithsonian Institution Press, Washington, 147 p., 84 fig.

La selle d’équitation est un objet technique qui présente, en Amérique, une signification symbolique considérable s’ajoutant à son intérêt en tant que production artisanale. Aussi comprend-on que l’on ait trouvé matière à réaliser, sur ce sujet, un volume abondamment documenté (comme le sont tous les ouvrages de la série) et joliment illustré. Car évidemment l’aspect esthétique n’est pas absent de cette question.

Cinq textes forment ce volume : Horizons of the Western Saddle (R. E. Ahlborn), Origins of Mexican Horsemanship and Saddlery (D. F. Rubin de la Borbolla), Western Saddles before the Cowboy (J. S. Hutchins), Saddles of the Plains Indians (J. C. Ewers) et Description of Saddlery in the Renwick Exhibition (A. Nelson).

L’histoire de la selle est évidemment parallèle à l’histoire de l’équitation et, en ce qui regarde l’Amérique, il s’agit en fait d’étudier l’introduction, datant de la conquête espagnole, du cheval chez les autochtones qui ignoraient ce moyen de locomotion.

Les Espagnols, au XVIème siècle, introduisirent deux types de selles, Estradiota (d’origine européenne) et Jinetta (d’origine arabe). Toute l’évolution typologique de la selle est décrite avec précision jusqu’aux formes contemporaines.

Il est certain que ce volume figurera en bonne place dans la bibliothèque de l’historien des techniques, mais aussi dans celle de l’amateur d’équitation, et dans celle, encore, du passionné de l’histoire de l’Amérique du Nord.

J. C. Baudet

[1 prodrome d’une notice qui paraîtra dans la Biographie nationale de Belgique (NDLR).

[2 Lire, sur la question de l’urgence de publier, l’article de Gaston (1972) dans La Recherche.

[3 Les techniques sont des modes d’appropriation du monde : le ciel est à qui sait voler (de Beauvoir, 1944.)

[4 Les questions de vocabulaire se compliquent encore (à moins qu’elles ne s’éclaircissent) quand on prend en considération les usages anglo-saxons. Il est indéniable que l’usage actuel, en français,
du mot technologie vient partiellement d’une contamination par l’anglais (Saint-Sernin, 1976).

[5 C’est la définition de l’homme que l’on trouve chez Jean Rostand (1954), qui précise : petit-fils de poisson, arrière-neveu de limace, bête saugrenue qui devait inventer le calcul intégral et rêver de justice.

[6 L’expression se trouve chez Bachelard, et s’adresse plutôt à la science. C’est que le mot appliqué n’est pas, dans l’épistémologie de l’Ecole française, utilisé dans sa pleine acception.

[7 Désirs. Ce mot, qu’il est impossible de ne pas rapprocher du mot péché, nous éclaire sur la suspicion ou le mépris qui s’attachent à la technique dans certaines cultures. Voir Tovmassian, 1976,
qui analyse l’attitude « idéaliste-bourgeoise » face au travail, sans aller à l’essentiel, étant prisonnier d’un système de pensée qui n’incite guère à la réflexion personnelle ; voir aussi Auzias, 1964, plus
subtil.

[8Et autres spécialistes de formation à dominante juridique et littéraire : sociologues, économistes.

[9 Quand il existe. Il n’y en a pas, nous l’avons déjà dit, du moins de jure (c’est-à-dire avec grade et diplôme) en Belgique. D’autres pays, où le nombre d’établissements de niveau
universitaire par km² est moins élevé que chez nous, en produisent d’excellents. L’hybridation est délicate. Je ne sais plus qui disait que la médiocrité de la science des philosophes n’a
d’égale que l’inanité de la philosophie des savants. Un autre disait que l’historien des techniques parle d’histoire avec les techniciens et de technologie avec les historiens, ce qui est fort
confortable.

[10 Il faudrait étudier l’association d’idées « technologie-machine », qui révèle une conception singulièrement rétrécie (et erronée) de la technologie.

[11 Il faut aussi prendre en considération les territoires : archéologie américaine pré-colombienne, extrême-orientale, etc. Cela a son importance pour l’archéologie industrielle : est-ce uniquement de l’Occident qu’il s’agit ?

[12 Pour la position épistémologique de l’archéologie industrielle et de l’archéologie contemporaine, nous nous permettons de renvoyer à notre article : Baudet, 1979.

[13 Pendant plus de 11 ans, j’ai exercé la fonction de dessinateur d’études à ladite société ; j’y étais également délégué syndical et membre de la commission de sécurité et d’hygiène.

[14Cet historique complètera les travaux déjà publiés sur les laminoirs de la région :
Hansotte, 1955 ; Hansotte et Hennau, 1979.

[15Hier moet onderstreept worden, dat Prof. ir. Quintyn de uitgever is van het tijdschrift Sartonia, gewijd aan de geschiedenis van de wetenschap en techniek. Sartonia en Technologia zijn de enige Belgische tijdschriften die zich met deze discipline inlaten.



















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