3(4)
En effet, les poussières produites par les fumées de houille retombaient dans les creusets ouverts et altéraient la coloration de la matière en fusion ; aussi, afin de préserver leurs mélanges, les verriers anglais utilisaient des creusets couverts. Il semblerait que le namurois S. Zoude ait été un des premiers verriers du continent à employer ce type de creusets, qui présentaient habituellement une forme de cornue à col court [5].
D’autre part, la houille donnait une flamme moins haute que celle du bois, aussi fallut-il modifier légèrement la composition du verre et c’est pourquoi certains verriers ajoutèrent à leurs mélanges un fondant auquel ils donnaient le nom de « sexquioxyde de plomb » [6].
D’autres modifications durent également être apportées au niveau des fours : les tiseurs utilisèrent des grilles avec des barreaux plus serrés, en raison de la petite taille des morceaux de charbon, et ils placèrent cette grille plus haut dans le four [7].
Bien que les motivations financières semblent avoir été initialement à l’origine de l’abandon progressif du bois au profit du charbon, nous sommes très mal renseignés sur les prix respectifs de ces deux combustibles, nos recherches ne nous ayant malheureusement fourni que des renseignements très partiels. Néanmoins, nous pouvons relever quelques données en insistant bien sur leur caractère ponctuel.
De l’avis du Magistrat de Namur, « le prix ordinaire d’une charrée de houille du poids de 5.000 livres se vendait communément 8 florins pendant les années 1732, 1733 et 1734 » [8].
Le livre de compte de la verrerie de Sart Moulin nous permet de déterminer un prix moyen : 2,77 florins le mille de charbon payé par les propriétaires de cette manufacture entre août 1775 et novembre 1780 [9].
Plusieurs éléments pouvaient naturellement influer sur le prix de la houille, et parmi ces facteurs, le coût des transports semble avoir été particulièrement lourd, comme le remarquait, en 1807, un ingénieur du corps impérial des mines « la houille des environs de Charleroy, quoique de qualité au moins égale à celle des environs de Mons se vend à peu près moitié moins ... cela provient en partie de ce que le charroi sur Bruxelles ... devient extrêmement dispendieux » [10]. Weygant, propriétaire d’une verrerie à Louvain, insistait déjà sur ce fait en 1755 : « les fraix et transport augmenteroient… les prix ... du charbon au triple de sa valeur » [11]. Ce coût élevé des transports entraînera progressivement une concentration des verreries sur les sites d’extraction. Mais d’autres facteurs pouvaient grever ce prix, et parmi eux, signalons les conditions d’extraction particulièrement intéressantes à étudier en ces premiers temps du machinisme.
Ainsi, vers 1740, le Magistrat de Namur se plaignit de ce que « depuis que le sieur Desandrouin s’est avisé d’en (houille) tirer pendant l’hiver ... les partionnaires et les petits propriétaires des fonds ne peuvent tirer des houilles en hiver à cause des eaues ... le di Sandrouin profitant de cette occasion pour être seul pourvu des houilles [12]... fait agir sa machine à feu [13]... et débite au prix qu’il fixe luy même [14] ».
Les informations que nous avons pu rassembler sur les prix du bois sont encore plus fragmentaires. Aussi contentons-nous de signaler qu’entre 1769 et 1782, le sac revenait à 2,5 florins et la voiture à 3,15 florins [15].
Toutefois, il ne faut pas croire que l’emploi du charbon ait déterminé l’abandon total du bois. On continua longtemps à utiliser conjointement des fours à bois et d’autres au charbon [16]. Ainsi en 1810, les verreries de Voneche possédaient 3 fours au bois et un au charbon [17]. La manufacture Moreau-Harvengt employait aussi simultanément les deux sources d’énergie [18].
Pour certains types de travaux, comme la production de gobeleterie fine ou de vitrerie dite de luxe, certains maîtres verriers préféraient utiliser du bois, mais ceci n’était pas toujours le cas ; ainsi S. Zoude assurait fondre son cristal « avec un peu de houille » [19] .
[1] Ce travail fut entrepris dans le cadre d’un mémoire de licence présenté à l’Université Libre de Bruxelles en 1979.
[2] Essentiellement, les archives du conseil des Finances, les dossiers des douanes (A.G.R.), les archives de la Ville de Bruxelles et quelques dossiers des Archives Nationales à Paris.
[3] Nous excluons de notre propos les verreries forestières de Forges-lez-Chimay et de St-Hubert, qui tant par leurs productions que par leurs méthodes de travail appartiennent encore au XVIIème siècle.
[4] AGR CF 5346 fol 251.
La corde de bois la plus usitée à l’époque dans la région peut être estimée à quelque 2.2 m3.
[5] AEN, fonds Douxchamps, livre de compte de la verrerie Zoude.
[6] AGR CF.
[7] Les tiseurs étaient les ouvriers préposés à la surveillance et à l’entretien des feux.
[8] AEN conseil provincial n° 315.
[9] AVB registre n° 2283.
Ce prix inclut tous les frais : port, livraison ...
[10] AN. Paris F 14 4250.
[11] AGR CF 5348 fol 185.
[12] Le problème de l’évacuation des eaux était naturellement crucial pour tous les travaux de sous-sol.
[13] Il s’agissait d’une pompe à feu, de type Newcomen, installée dans les veines
de Fayat après 1725.
[14] AEN : Conseil provincial no 315 cité par Hasquin, 1971.
[15] AVB registre no 2283.
[16] Le charbon était même parfois utilisé pour sécher le bois.
AGR CF 5346 fol 251.
[17] AN. Paris F 14 4252.
[18] AGR CF 5348 fol 209.
[19] AGR CF 5348 fol 318.
[20] Les tiseurs avaient coutume de regrouper ces 2 espèces sous le terme de « foyard » pour les distinguer des autres bois qui possédaient un pouvoir calorifique moins élevé.
[21] Signalons que lorsque la possibilité existait, les manufacturiers réalisaient d’importantes économies de transport grâce au flottage du bois.
AGR CF 5346 fol 101.
[22] Terme de verrerie signifiant que le four manque d’aliments.
[23] Se dit d’un four qui s’engorge.
[24] La glaie était l’ouverture pratiquée dans la paroi du four qui permettait de l’alimenter.
[25] Certains documents précisent qu’un chariot de houille contient de 11 à
12.000 livres (soit environ 1.800.000 livres par an).
[26] AGR CF 5349 fol 5.
[27] AGR CF 5352 fol 285.
[28] AVB registre n° 2253.
[29] AGR CF 5351 fol 47 et 67.
[30] AGR CF 5346 fol 253.
[31] Les cordes de bois sont des mesures variables selon les régions.
En moyenne, nous pouvons estimer qu’une corde de France équivaut à peu près à 1 m3.
[32] AGR CF 5345 fol 17.
[33] « Lombois » à Gilly, ainsi que des parts dans les veines du « Petit Roland », « Masse », « Droit Jet », et « Favat » à Lodelinsart (Hasquin, 1971).