1989 – 12(2)

3. La situation linguistique particulière à la nation contribue à entraver une compréhension normale de la science. Celle-ci, trop souvent, sera considérée d’un point de vue uniquement philologique. La création, en 1938, de la Koninklijke Vlaamse Academie voor Wetenschappen, Letteren en Schone Kunsten van België a-t-elle suscité une mutation dans la vie intellectuelle de la Belgique? Le bilinguisme officiel impose une division, un éparpillement des efforts, épuisant le potentiel intellectuel du pays: tout est dispersion, effritement, et quand, à deux reprises en trois mois (décembre 1963 et mars 1964), le Parlement entend une interpellation à propos du Centre d’études de l’Energie Nucléaire (C.E.N.) à Mol, on peut être assuré que ce n’est pas sur la physique nucléaire que porteront les débats: la physique dont il a été question dans le plus haut lieu de la vie politique fut une physique essentiellement linguistique, philologique. Cependant, lorsqu’il s’agit d’une entreprise monumentale et de longue haleine, telle que la Biographnie nationale publiée par l’Académie royale de Belgique (elle a commencé à paraître en 1866 et passe souvent notamment aux yeux de l’étranger, pour la plus belle des publications de la plus vénérable de nos Académies), aucun dédoublement, aucune traduction n’ont été sérieusement envisagés. Même remarque d’ailleurs en ce qui concerne les importantes institutions nées au cours des années qui suivirent la guerre de 1914-1918: F‧v. (1920), C.R.B. (1920), F.N.R.S. (1928), Fondation Francqui (1932). Incidemment notons qu’au sein de réunions scientifiques à l’échelon national, l’anglais a parfois dû être adopté, comme il l’est d’ailleurs de plus en plus par nos savants pour la rédaction de leurs travaux. En vérité, à propos de l’affaiblissement résultant de la notion officielle – mais très artificielle – de deux communautés, la grève des médecins (avril 1964) a apporté un témoignage inattendu et clair: ces prétendues deux communautés nationales ne correspondent à aucune réalité profonde[[L’accueil si généreux réservé aux étudiants de l’Université libre de Bruxelles après la suspension des cours en 1941, par les autres établissements d’enseignement supérieur et tout particulièrement par l’Université catholique de Louvain, atteste la solidarité du monde intellectuel belge; l’occupant a contribué à cimenter l’union de nos universités. ]]. La contrainte légalement imposée tout récemment à l’université la plus ancienne et la plus peuplée du pays: l’université catholique de Louvain, honteusement enfermée dans un étau linguistique insupportable à un lieu où doit souffler l’esprit, est un défi à l’intelligence. Aux yeux du Belge moyen, il paraît normal d’organiser l’Université belge en fonction de critères et de dosages linguistiques, d’équilibres politique, confessionnel, philosophique ou régional.

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Passons à l’aspect formel du progrès scientifique en Belgique; 1914 marque la fin d’une époque. Après 1918, d’importants institutions ont vu le jour; elles ont efficacement contribué à l’expansion de la science belge; il convient cependant de ne pas en exagérer le rôle: en science, les hommes comptent davantage que les institutions, comme le montre clairement le cas du C.N.R.S. français: en 1935, la France a obtenu, la dernière fois, un prix Nobel dans le domaine scientifique (Mr. et Mme Joliot-Curie). Or, c’est en 1935 précisément que fusionnent les organismes qui devaient aboutir à la création, en 1939, du C.N.R.S.; et depuis la France a cessé d’avoir des prix Nobel en science.

Certaines de nos sociétés scientifiques sont plus que centenaires (Société royale des sciences de Liège, 1835; Société entomologique de Belgique, 1855: Société royale de botanique de Belgique, 1862;etc…). Bornons-nous à la mention de celles créées après la première guerre mondiale: Fédération belge des Sociétés scientifiques (1919); Société mathématique de Belgique (1921); Société belge de Physique (1929); Comité belge d’histoire des sciences (1933); Société belge de statistique (1935); Société belge de Pédologie (1950); Société belge de Biochimie (1952). En juin 1956, un Centre de Géophysique dépendant de l’Institut Royal Météorologique est inauguré à Dourbes (à 5 km à l’est de Mariembourg et à 8 km au nord-est de Couvin); la station d’aérologie de l’Institut royal météorologique (à Uccle) a pu disposer de bâtiments, inaugurés en 1958 où furent installés de nombreux équipements nouveaux.

La station radioastronomique de Humain-Rochefort (entre Rochefort et Marche, à 5 km au nord de Jemelle) est dirigée par le Service de Radioastronomie et de Physique solaire de l’Observatoire royal de Belgique (à Uccle) et date de 1952. Cette station s’est spécialisée en radioastronomie solaire, sans pourtant exclure les observations galactiques et extragalactiques. Les mesures sont normalement effectuées au moyen de radiotélescopes observant d’une manière continue sur plusieurs longueurs d’onde. Un grand interféromètre à 48 miroirs paraboliques, destiné aux observations sur 75 cm de longueur d’onde, y est en construction, ainsi qu’un interféromètre à base variable et à lobe balayé sur 33 cm de longueur d’onde. Les données recueillies à Humain sont communiquées mensuellement à plus de 60 observatoires et à trois centres mondiaux. La comparaison des données solaires radioélectriques et optiques est faite à Uccle.

En science, le tempérament, la vocation, comptent plus que le raisonnement, les personnalités plus que les institutions, insistons-y. Mais au 20e siècle, en raison d’un appareillage de plus en plus compliqué et puissant, la recherche de plus en plus revêt un caractère technique et onéreux, exigeant le travail en équipe et demandant l’élaboration de programmes[[En 1963, aux yeux du Conseil National de la Politique Scientifique, les orientations privilégiées concernaient les quatre domaines suivants: biologie moléculaire, recherche spatiale, génétique humaine et enzymologie médicale. ]] ainsi qu’une nouvelle organisation de la recherche scientifique; celle-ci se fait collective et internationale. Sur le plan national, citons l’établissement de la carte des Sols en Belgique, véritable cadastre du sol à l’échelle du 500e, qui nécessite environ 2 observations par hectare, soit, pour tout le pays, 6.000.000 observations réalisées par une dizaine d’équipes composées d’un chef cartographe assisté de trois cartographes; en 1964, environ les 3/4 de la Belgique avaient été cartographiés en détail. Mais sur un plan plus vaste, la coopération scientifique internationale se développe rapidement dans les secteurs et disciplines scientifiques où les moyens à mettre en œuvre ne sont plus à la mesure des ressources de nombre de nations (sciences nucléaires; recherche spatiale) ou qui, par leur nature exigent la mise en commun des connaissances et de leurs applications (météorologie, océanographie, télécommunications, etc…). Ces caractères nouveaux de la recherche apparaissent nettement dans la structure du Fonds de la Recherche scientifique Fondamentale Collective (F.R.F.C.) et surtout de l’Institut Interuniversitaire des Sciences Nucléaires (1951), qui comporte 6 Centres, un Laboratoire des Hautes Energies – (dont les chercheurs participent à l’activité du Laboratoire de Physique corpusculaire à haute Energie (C.E.A.) à Saclay, à l’activité du Centre Européen pour la Recherche Nucléaire (C.E.R.N.) à Genève, organisation groupant elle-même 13 nations, ou encore à l’activité de laboratoires des Etats-Unis et onze Groupes de contact pour chacun des sujets suivants: émulsions nucléaires, études théoriques, sciences nucléaires et basses pressions, chimie nucléaire, radiations et génétique, études des plasmas, méthodes de datage, physique nucléaire et basses températures, radioisotopes en médecine, traceurs en biologie et en chimie, basses énergies.

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