1989 – 12(1)

La naissance du Componium

Plusieurs auteurs ont affirmé que Winkel construisit son Componium pour donner une nouvelle preuve de son talent de mécanicien, à la suite de l’affaire de métronome. Le secrétaire de la quatrième classe du Koninklijk Instituut n’écrivait-il pas à Winkel, en novembre 1819 : « Het zal (…) aangenaam zijn, indien uw vindingrijk geweest in het vak der werktuigkunde, nieuwe proeven Uwer bekwaamheid moge voortbrengen, en gij daarvan den rechtmatigen lof van landgenooten, zo wel als van vreemden zult mogen inoogsten » [[J. de Vos Willems à D. N. Winkel, Amsterdam, 17 novembre 1819, dans RIJKSARCHIEF NOORD-HOLLAND, Koninklijk Nederlandsch Instituut, 4e Klasse, Minuut uitgaande brief, I, 353. ]]?

Quoiqu’il en soit de ces affirmations, les spécialistes s’accordent pour dire que le Componium est un instrument unique. Encore faut-il préciser le sens que l’on donne à cette expression. Veut-on dire par là que le Componium n’a pas son semblable? Doit-on comprendre qu’il constitue dans l’histoire des orgues automatiques un fait isolé, une création spontanée, Ou veut-on prosaïquement insister sur sa valeur vénale? On peut dire que le dispositif mécanique qui permet à l’instrument d’improviser est un fait sans précédent et constitue sans doute la partie tout à fait originale de l’invention. Quelques détails très ponctuels de la mécanique ou de l’orgue portent encore l’empreinte du génie inventif de Winkel, notamment le système d’enclenchement des registres. Mais il n’en demeure pas moins que le Componium s’inscrit au sein d’une génération séculaire d’instruments mécaniques de grandes dimensions, comprenant tantôt des orgues à cylindres, avec ou sans clavier manuel, tantôt des orchestrions. Le Componium se rattache à une double tradition, à la fois physique et métaphysique, c’est-à-dire jalonnée par des perfectionnements techniques incessants mais également entraînée par un puissant moteur onirique: le désir de se surpasser. L’essence du Componium est d’être dispensateur d’extase. Bien des auteurs ont consacré leur talent à retracer la glorieuse épopée des grands instruments automatiques qui déterminent en quelque sorte le « code génétique » du Componium, pour qu’il nous soit possible d’y renvoyer nos lecteurs[[Voir notamment A.W.J.G. ORD-HUME, Barrel Organ, Sout-Brunswick – New York, 1978. ]]. L’évocation de ces instruments prestigieux et admirés dans le monde entier forme une histoire sommitale de la musique mécanique, couvrant approximativement un demi-siècle avant la construction du Componium par Winkel, en 1821. Parmi les grands précurseurs, figurent notamment l’orgue à cylindres de John Stuart, troisième comte de Bute, construit vers 1762 par Pinchbeck, John Christoper Smith, John Snetgler et John Langshaw ; l’orgue du comte de Kirkwall (vers 1805) et le gigantesque Apollonicon (1817) des associés Benjamin Flight et Joseph Robson. L’Apollonicon pouvait être joué par trois cylindres ou par cinq organistes simultanément. L’instrument fit une carrière étincelante à Londres. Un autre orchestrion automatique qui exécutait des pièces compliquées à grand orchestre fut construit à St-Petersbourg par Johann Georg Strasser. L’histoire des grandes orgues mécaniques d’exposition est aussi redevable d’une série prestigieuse d’instruments aux frères Kaufmann, de Dresde : le Belloneon (1805), le Joueur de trompette automate (1810), le Salpingion (vers 1810), l’Orchestrion (1852). Tous ces instruments connurent une carrière internationale. Mais c’est sans doute aux frères Johann Nepomuc et Leonard Maezel que l’on songe en priorité lorsqu’il est question des grands thaumaturges des concerts sans musiciens.

Johann Nepomuc Maelzel qui, nous l’avons vu, n’hésitait pas à faire siennes les inventions d’autrui construisit – ou fit construire – plusieurs orchestres mécaniques, ainsi que des automates, qu’il exhiba dans les grandes villes d’Europe et d’Amérique. Le plus célèbre fut le Panharmonicon II, achevé au cours de l’hiver 1812-1813, la saison qui vit aussi la sortie d’un diorama appelé « L’incendie de Moscou ». A partir de 1814, Maelzel effectua des tournées à travers l’Europe. Il fit voir le Panharmonicon, le Joueur de trompette, le Diorama et le célèbre Joueur d’échecs du baron Wolfgang von Kempelen. Maelzel avait acquis cette pièce, une première fois, après la mort de von Kempelen, en 1804, et l’avait revendue trois fois plus chère, en 1812. A ce propos, Fétis écrivait sans complaisance :

« (…) il [Maelzel] s’attribuait (…) faussement l’invention du joueur d’échecs, auquel il avait seulement adapté la machine parlante du même Kempelen, pour prononcer les mots échec et mat. Il se donnait aussi pour auteur de cette dernière invention, et il prit un brevet à Paris, pour des poupées parlantes qui disaient bonjour papa, bonsoir maman ».

A l’égard de ces automates, qui avaient tant excité la curiosité publique à Paris et à l’étranger, Fétis ajoute :

« Mais les problèmes relatifs à tous ces mouvements sont les seuls que la mécanique a pu résoudre, car un peu de réflexion suffit pour faire comprendre qu’il sera toujours impossible de faire une machine intelligente : les combinaisons du jeu d’échecs sont donc l’office d’un joueur habile, caché dans l’intérieur du socle où est contenu le mécanisme ».

Et pour mieux éreinter l’œuvre, Fétis cite les victimes qui se sont succédées, courbaturées, dans le socle de l’appareil : Boncourt, dont la grande taille rendait cet exercice particulièrement pénible, Alexandre, puis Mouret qui accompagnèrent Maelzel à Londres, « où ils lui firent gagner des sommes considérables, qu’il dissipa bientôt dans la débauche »[[F.J. FETIS, Biographie universelle…, t. V, p. 397. ]].

En décembre 1825, Maelzel partit finalement pour les Etats-Unis où il vendit, en 1829, son Panharmonicon à une société de riches exploitants de Boston pour la somme considérable de 400.000 dollars. Il mourut en 1838. Son Panharmonicon II fut le seul instrument à parvenir jusqu’à une époque récente. Conservé au Musée de l’Industrie, à Stuttgart, il fut hélas détruit dans un bombardement, au cours de la Seconde Guerre Mondiale. Les douze cylindres ont cependant survécu.

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