1987 – 10(2/3/4)

UN VASE D’ALCHIMIE DE L’ORIENT MEDIEVAL ISLAMIQUE (*)

Jeanne MOULIERAC
Musée de l’Institut du Monde Arabe, Paris

Résumé

Dans son étude d’un vase alchimique du moyen âge islamique, l’auteur analyse l’iconographie dans des manuscrits scientifiques arabes de façon à comprendre plus profondément la fabrication et l’usage de cet objet.

Samenvatting

In zijn studie over een alchemistische vaas uit de islamitische Middeleeuwen analiseert de auteur de ikonografie der Arabische wetenschappelijke handschriften, met het doel de vervaardiging en het gebruik van het bestudeerde voorwerp beter te begrijpen.

Abstract

In her attempt to study an islamic medieval alchemical vase, the author analyses iconographies in Arabic scientific manuscripts in order to understand better the manufacturing and usage of this artifact.

Les miniatures des manuscrits arabes ont été souvent étudiées pour leurs aspects esthétiques ou stylistiques [[Voir par ex., R. ETTINGHAUSEN, La peinture arabe, Genève 1962.]] mais assez rarement sous l’angle documentaire [[D. BRANDENBURG, Islamic Miniature Painting in Medical Manuscripts, Bâle, 1982.]]. Elles peuvent cependant apporter une aide précieuse pour une connaissance approfondie de la civilisation arabo-islamique, dans sa richesse et sa diversité.

Sur quelques peintures illustrant des textes littéraires ou scientifiques, médecins, pharmaciens, droguistes et barbiers, exercent leurs activités professionnelles, entourés des instruments de leur art : mortiers, vases ou albarelles …

La boutique du droguiste-parfumeur ou àttâr [[ Encyclopédie de l’Islam, nouvelle édition (E l, 2), Leyde, 1979, voir les articles « ‘Attar », t.I, p. 774-775, « Adwiya », t.I, p. 219-221, et « Akrabadhin », t.I, p. 354-355.]], dans le souk, au cœur de la ville, est représentée sur une copie du début du XIIIe siècle du roman de Varque et Golshah, conservée à Istanbul, au Musée de Topkapi Saray [[ Inv. Hazine 841, f° 3, reproduit dans B. LEWIS, Le monde de l’Islam, Bruxelles, 1976, ill. 123, p. 96. Une étude approfondie de ce manuscrit a été faite par A. S. MELIKIAN-CHIRVANI, « Le roman de Varqe et Golsah », Arts Asiatiques, XXII, 1970.]]. Si le texte, en vers persans, chante les amours contrariées de deux jeunes gens, en Arabie, au temps du Prophète Muhammad, son illustration appartient sans conteste au monde arabo-musulman médiéval.

Un feuillet d’une traduction du De Materia Medica de Dioscoride, manuscrit de 621 H/1224 copié à Bagdad probablement mais hélas en partie dispersé, montre l’intérieur d’une pharmacie ou s’active un personnel nombreux et spécialisé de saydalânî [[New York, Metropolitan Museum of Art, inv. 57.51.21, reproduite dans R. ETTINGHAUSEN, op. cit., p. 87. Le manuscrit est conservé à Istanbul (Bibliothèque Suleymaniye, inv. Aya Sophia MS 3703) mais une trentaine de pages avec des miniatures représentant des personnages, en ont été arrachées au début du siècle et sont actuellement dispersées dans diverses collections publiques ou privées.]]. Il s’agit sans doute d’une pharmacie hospitalière appartenant à un bîmâristân [[E I, 2, article «Bîmaristân », t. I, p. 1259-1262.]]. Parmi ces établissements, un des plus célèbres était celui fondé à Damas, en 1154, par Nûr al-Dîn ibn Zangî : un de ses grands vases en céramique vient d’être retrouvé car l’inscription placée sur l’épaule [[Catalogue Sotheby’s, Londres, Islamic Works of Art Carpets and Textiles, 17.10.1984, n° 129. Ce vase est actuellement dans une collection privée, à Koweit, inv.I/961. ]] en indiquait la provenance.

Certaines scènes correspondent à une phase précise de la préparation du médicament : pulvérisation [[Washington, Freer Gallery of Art, inv. 32.20v, reproduite dans E. ATIL, Art of the Arab World, Washington, 1975, n° 25, p. 60.]] ou filtration [[Baltimore, Walter Art Gallery, inv. 10.675, reproduite dans D. BRANDENBURG, op. cit., ill. 45, p. 118. Les deux opérations figurent simultanément sur une autre miniature : New York, Metropolitan Museum of Art, inv. 13.152.6, reproduite dans le catalogue de l’exposition Islamische Kunst Meisterwerke aus dem Metropolitan Museum of Art of New York, Berlin, 1981, n° 19, p. 68-69.]] par exemple; quelques uns des objets qui appartiennent aujourd’hui aux collections d’art islamique retrouvent ainsi le contexte spécifique de leur usage et de leur fonction.

Parmi les manuscrits scientifiques, un des plus anciens ornés de peintures qui nous soient parvenus, est une copie du Livre de la Thériaque, al-Kitâb al-Dirîâq du Pseudo-Galien. Datée de 595H/1199, elle est conservée à Paris, à la Bibliothèque Nationale où elle entra en 1853 [[ms. arabe 2964, B. FARES, Le livre de la Thériaque, Le Caire, 1953]]. Le scribe, Muhammad ibn Abu’l Fath ‘Abd al-Wahid, était parent du dédicataire un certain Abu’l Fath Mahmud. Ce dernier, qualifié de « Puissance de la Religion, Honneur de l’Islam, Renfort des Imàms, Roi des Savants », est pourtant, malgré ces titres prestigieux, inconnu des chroniqueurs et des historiens … Sur chacune des deux miniatures qui concernent la préparation de l’électuaire – au f° 17, la pesée des constituants [[ id., pl. XI.]] et au f° 15, leur mélange, à chaud [[ ibid., pl. XII.]] – un des personnages tient une bouteille de forme assez peu commune.

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Sèvres, Musée National de Céramique
Vase, inv. MNC 19589, H : 27 cm, Iran ou Iraq, fin XII – début XIIIe siècles.

Au Musée National de Céramique de Sèvres, près de Paris, parmi les collections de l’Orient médiéval, byzantin et musulman, on peut remarquer une bouteille [[Je remercie vivement Madame HALLE-FAY, conservateur du Musée National de Céramique de Sèvres, qui m’a donné l’autorisation de publier cet objet encore inédit de ses collections, ainsi que Madame LE DUC, chargée de mission, pour son amical concours.]] proche de celles qui figurent sur les miniatures précédentes (illustration 1).

(*) Communication présentée lors de l’International Congress for the History of Pharmacy, Oslo, 23-26 juin 1987.

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