1986 – 9(3)

Les principes mécaniques de base auxquels se réfèrent les Banū Mūsā existent dans la tradition grecque et hellénistique. D’autres sources – proche ou extrême orientales – peuvent avoir eu une incidence mais l’état actuel de nos connaissances ne nous permet pas de les déterminer. Comme dans toute étude relative à l’histoire de la technologie durant le moyen âge islamique, Hill est confronté à un double problème : a) l’influence sur les sciences arabes des sources préislamiques-égyptiennes, grecques, hellénistiques, syriaques, persanes, indiennes, chinoises, et b) l’influence des sciences arabes sur des cultures postérieures comme celle du moyen âge latin. La première de ces deux questions est de loin la plus complexe et les moyens dont dispose l’historien de science pour déterminer tous les courants d’influence sont encore très limités. Pour cette raison quand Hill tente de résoudre le problème de l’identification des sources des Banū Mūsā, il se limite aux appareils qui ont leur parallèle dans les écrits mécaniques d’Héron d’Alexandrie (Ier siècle après J.-C.) ou de Philon (IIIème siècle avant J.-C.). Cela permet de dresser un tableau divisé en 4 colonnes (p. 21) : 1) numéro d’ordre de l’appareil dans la traduction de Hill; 2) brève description des caractéristiques de l’appareil; 3) numéro d’ordre de l’appareil chez Héron (éd. Woodcroft, 1851) et 4) chez Philon (éd. Prager, 1974). Cette tentative de comparaison, toute modeste qu’elle est, a néanmoins donné quelques résultats quant à l’identification pour certains appareils des sources plausibles des Banū Mūsā. Une méthode identique devrait s’appliquer aux sources non grecques pour rendre compte plus complètement de l’action sur la tradition islamique des cultures qui l’ont précédée. Nous pouvons déjà ajouter à cette tradition hellénistique le traité sur l’horloge hydraulique du Pseudo-Archimède et la longue tradition syriaque dans le domaine des mécanismes hydrauliques, surtout en horlogerie.

Si les Banū Mūsā ont puisé dans les traditions préexistantes, ils ont aussi fait œuvre originale dans le domaine de la mécanique. Il faut préciser à cet égard que leur but était de décrire la construction et le fonctionnement d’appareils qu’ils avaient eux-mêmes construits ou fait construire. Ils ne cherchaient donc pas à accumuler des connaissances théoriques. Comme Hill le remarque :
« Comparés aux réalisations grecques, ces appareils mettent en œuvre nettement moins de théorie mais montrent un beaucoup plus haut degré d’invention dans la construction » (p. 19). Ce sens de l’invention mécanique est attesté tout au long du traité : par exemple le double siphon concentrique est inconnu avant les Banū Mūsā et oublié après eux, et la valve conique n’apparaît en occident qu’avec Léonard de Vinci (1452-1519). Cette originalité est encore plus évidente dans l’usage des valves automatiques et des systèmes de retardement (p. 23).

Hill a placé un glossaire à la suite de sa traduction; il y mentionne les termes techniques arabes suivis de leur translittération et de leur traduction anglaise. Ces termes ne proviennent pas seulement de l’œuvre des Banū Mūsā mais aussi d’autres ouvrages de la littérature mécanique arabe: al-Jazarĩ, le Pseudo-Archimède et al-Khawarizmĩ (1ère moitié du IXe s.).

Nous nous étonnons néanmoins de ne trouver aucune référence à un ouvrage aussi essentiel sur les poids et mesures islamiques que celui de W. Hinz (1955. –Islamische Masse und Gewichte Umgerechnet ins Metrische System. Leiden : 66) : nous découvrons de grandes différences entre les données de ce dernier et les estimations de Hill. Nous citons à titre d’exemple : l’isba’ vaut 2,06 cm pour Hill et 2,078 cm ou 2,252 cm pour Hinz (p. 54) ; le dhirã’vaut 49,4 cm pour Hill et selon les époques de 49,875 cm à 66,5 cm pour Hinz (p. 59-61); l’uqiyya vaut 156 g pour Hill et de 154,166 g à 190 g pour Hinz (p. 35); le dirham vaut pour Hill 3,9 g et 3,125 g pour Hinz (p. 3).

La très haute qualité de cette publication est bien évidente ainsi que l’exactitude et la précision avec lesquelles Hill a exécuté les diagrammes des appareils. Aussi appréciables qu’importants sont les détails techniques qu’il n’hésite pas à fournir à chaque fois que c’est nécessaire.

Bien que nous concluions, avec Hill que « rien ne peut remplacer une traduction complète et correcte accompagnée des reproductions photographiques fidèles des illustrations qui figurent dans les manuscrits » (p. 18), il nous plaît d’ajouter que ce travail aurait atteint un rang plus élevé encore parmi les publications actuelles consacrées à la littérature scientifique du moyen âge islamique si nous avions trouvé, à côté de la traduction, le texte même des Banū Mūsā accompagné d’un apparat critique. Une telle édition critique nous aurait permis de comparer la lecture de Hill avec les variantes des autres manuscrits et de juger de ses choix. Si précieuses que soient les translittérations des mots- clefs que Hill note chaque fois qu’ils se présentent dans le texte, elles ne peuvent remplacer la publication intégrale du texte original.

Nous espérons que Hill continuera à offrir aux chercheurs d’aussi remarquables traductions – mais accompagnées de l’original arabe si c’est possible – comme celles d’al-Jazarĩ et des Banū Mūsā.

H. Elkhadem

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