1986 – 9(1)suite

Histoire orale et archéologie industrielle

Il est certain que l’enquête individuelle auprès de « témoins privilégiés »
est d’utilisation courante:

– pour identifier des bâtiments, retrouver leur emplacement s’ils ont été détruits;

– pour désigner les machines utilisées, préciser leur localisation;

– pour éclairer le processus de production, d’un point de vue théorique pour l’activité envisagée et d’un point de vue pratique dans le cas d’une entreprise précise.

Ceci est banal mais il est possible de pousser plus loin l’enquête comme le font couramment les écomusées. Il est possible de préserver non seulement la parole, le discours mais aussi et surtout le geste. Cette culture du geste, capitale pour expliquer le développement économique de nos régions peut être préservée grâce aux nouvelles techniques d’enregistrement, image et son, de manière à sauvegarder ne fût-ce que le souvenir de tel ou tel type de fabrication [[Par exemple, en Belgique, les réalisations du laboratoire Paul Brien d’Etude de l’Environnement à Treignes (ULB) et du Musée de la Pierre à Maffle (cf. Mémoires collectives, op. cit., et Cahiers de Clio, op. cit.).]].

Les enquêtes individuelles peuvent être évidemment multipliées pour pallier les insuffisances, les incohérences d’un témoignage unique.

Par contre les enquêtes collectives, plurielles en tous cas, sont nécessaires pour envisager les évolutions et la manière dont elles sont ressenties, vécues, subies par les principaux acteurs. La recherche relève alors plus des domaines de la culture, de la psychologie sociale, du comportement que des techniques proprement dites. Ce sont l’innovation, la résistance au changement, les ruptures et les évolutions qui peuvent être mises en valeur. Un travail comme celui de D. Marty (1982) sur la culture ouvrière du Roubaisis textile, qui mêle heuristique traditionnelle et enquête orale, est exemplaire à ce propos.

Il est certain qu’il s’agit d’élargir ici au maximum l’idée d’archéologie industrielle et d’éviter qu’elle ne devienne ce que l’archéologie fut naguère, une discipline limitée à l’objet ou au bâtiment.

Les groupes, ouvriers, personnel de maîtrise, ingénieurs, patrons sont chacun séparément, et tous confrontés, les porteurs d’une mémoire collective capitale pour l’étude du passé industriel.

Les travaux de ce type semblent rares mais il est possible d’en citer l’un ou l’autre. C. Billen, par exemple, souligne combien l’apparition de l’ingénieur, « col blanc et cravate » est liée, pour les ouvriers, à la transformation de l’entreprise de matériel agricole Mélotte (Gembloux) mais aussi à l’évolution qui conduit à sa fermeture [[C. Billen, Le portrait du patron, texte présenté au Ve Congrès international d’histoire orale à Barcelone, 1985.

Voir aussi D. Voldman, Entretiens avec les reconstructeurs, Contribution à l’étude d’un groupe de décideurs (France 1940-1950), Documents du Congrès cité ci-dessus, pp. 497-504; A. Pinol, Transformation du travail et histoire orale. L’exemple de la rationalisation aux usines Berliet pendant l’entre-deux-guerres, 4e Colloque International d’histoire orale, Aix en Provence, 1982, pp. 507-519. ]].

« Plus qu’un outil et moins qu’une discipline » selon l’expression de L.
Starr, l’histoire orale trouve peu à peu la place qui lui revient dans la panoplie des sources et méthodes de l’interrogation du passé.

Ouvrages cités

D. Bertaux, Histoire de vies ou récits de pratiques. Paris 1976.

M. Catani Tante Suzanne. Une histoire de vie sociale, Paris, 1982.

A. Delattre, Souvenirs, Cuesmes (1965).

Ph. Joutard, La légende des Camisards. Une sensibilisation au passé, Paris 1977.

F. Ferrarotti Histoire et histoires de vie. La méthode biographique dans les sciences sociales, Paris, 1983.

O. Lewis, Les enfants de Sanchez, Paris, 1961 (traduction).

R. Martin, Patron de droit divin, Paris, 1984.

L. Marty, Chanter pour survivre. Culture ouvrière, travail et techniques dans le textile, Roubaix, 1850-1914, s.l., 1982.

J. Van Sina, De la tradition orale. Essai de méthode historique, Bruxelles, 1961.

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