1984 – 7(2)

Dans de nombreux pays, donc, l’histoire des ingénieurs reste à faire. Signalons que la Grande-Bretagne (et l’on retrouve ici une position d’initiateur, que l’on remarque aussi, sans étonnement, en archéologie industrielle, préoccupation voisine) a produit un ouvrage remarquable: Engineering Heritage (dû à l’Institution of Mechanical Engineers, 1963, 1966). Il s’agit d’un recueil de notes, d’ailleurs fort bien faites, d’une part sur divers sujets de l’histoire des techniques et d’autre part sur 24 ingénieurs ou inventeurs importants: Rankine, Bessemer, Watt, Fulton, etc.

L’étude du présent de la profession d’ingénieur est un chapitre important de la sociologie des professions. L’école française a, récemment, rassemblé quelques matériaux intéressants à cet égard, et je ne résiste pas au plaisir de vous citer le titre bien joli qu’a trouvé un sociologue français, il y a une dizaine d’années: « La Mafia polytechnicienne » (Kosciusko-Morizet, 1973).

Eh bien, si le passé (étude diachronique) et le présent (étude « synchronique ») de la profession d’ingénieur constituent les deux voies d’accès à l’appréhension scientifique de cette catégorie socio-professionnelle, on peut certes se demander si la troisième voie d’accès (l’avenir) est justiciable de la démarche scientifique.

C’est ici une question fondamentale de l’épistémologie des sciences humaines, que nous ne faisons qu’effleurer. L’étude du passé et du présent est descriptive, et peut donc, en droit sinon en fait, prétendre à la scientificité, bien qu’il n’échappe à personne que tel discours, tenu pour « scientifique » par les uns pourrait être qualifié d’« idéologique » par les autres. C’est tout le problème de l’interprétation de l’histoire. Mais l’étude de l’avenir est prédictive et l’on est en droit, au moins en première approximation, de craindre que la prédiction relève plutôt du domaine philosophique (et certainement idéologique, donc politique) que du domaine de la science. Mais voilà! Les philosophes nous ont assez répété que si la philosophie n’apporte pas de réponses définitives aux grandes questions, il s’agit précisément des questions qui seules comptent vraiment, alors que la science ne fournit de réponses sûres et définitives qu’à des questions en somme bien futiles. Et justement, m’adressant à un auditoire composé surtout d’étudiants-ingénieurs[[Voir note 1. ]], je ne doute pas que c’est l’avenir de la profession qui les préoccupe. Ils m’accorderont sans doute que le passé et le présent sont les fondations nécessaires de la spéculation prospective. Ceci est important. C’est même, aux yeux de certains, la seule justification d’efforts intellectuels dans les domaines de l’histoire et de la sociologie.

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