1984 – 7(2)

2.1.1. – L’ingénieur est un technologue

S’il n’y avait l’histoire qui a consacré le terme ingénieur (nous n’avons esquissé que la fin de cette histoire, le mot « ingénieur » remonte au moyen âge, voire même à l’antiquité: Gille, 1964), nous préférerions le terme de technologue [[Technologiste, voire même techno-logicien, ne sont pas mal non plus. ]] ou, mieux encore, de rationalisateur. Car c’est bien cela la mission de l’ingénieur: introduire dans la production (de biens ou de services) la technologie, c’est-à-dire la rationalité [[Pas seulement la rationalité technique, conduisant à la technocratie naïve. C’est la rationalité « écolo-technico-socio-financière » qui est visée, puisque toute action industrielle (c’est-à-dire de production) implique le quadruple apport des ressources naturelles, du savoir, du travail et du capital. ]].
Et je dirais la rationalité efficiente (technologie ou science industrielles), pour la distinguer de la rationalité explicative (« science » ).

Si cet ingénieur pose des actes de conception technologique, il est soit ingénieur de recherches, soit ingénieur de bureau d’études. Il calcule, dessine, rédige des cahiers des charges, son souci est l’innovation technologique permanente, pour employer une expression à la mode. Remarquons bien que le travail peut concerner aussi bien la conception d’un circuit de ventes et d’exportation (organisation) que la conception d’une unité de production de moteurs ou de telle matière plastique (ingénierie).

L’opposition complémentaire entre organisation et ingénierie pourrait être mise, pour une étude plus poussée, en comparaison avec le couple « logiciel-matériel » auquel les informaticiens nous ont accoutumés. Soit dit en passant, de nombreux discours consacrés à la technologie tombent un peu à faux parce que privilégiant un peu trop l’aspect « matériel » des techniques.

Qu’en est-il maintenant des actes d’intervention? Il s’agit essentiellement d’actions correctrices – et la meilleure comparaison me paraît être ici à rechercher dans le domaine médical: l’ingénieur intervient comme le médecin pour rétablir une situation « normale » -, et l’on distinguera l’ingénieur de production, l’ingénieur de maintenance, l’ingénieur de sécurité, l’ingénieur de contrôle de qualité, l’ingénieur-expert [[L’expertise judiciaire, au cours de laquelle l’« intervention » a une portée juridique particulière, est étudiée par Muller (1982). ]]. Chaque fois, dans une situation donnée, il s’agit de poser un diagnostic et de proposer une thérapeutique. Telle machine est en panne: il faut utiliser tel lubrifiant, remplacer telle pièce …

Qu’il s’agisse de conception ou d’intervention (et l’on voit bien que cette opposition n’est que schématique), il faut noter que les diverses sortes d’ingénieurs que nous avons rencontrées (recherches, bureau d’études, production, etc.) ne coïncident nullement avec les distinctions académiques. Ceci est fondamental. Les distinctions faites par le système d’enseignement ne sauraient recouvrir celles de la réalité professionnelle, justement parce que la formation (du moins au niveau universitaire) doit comporter une part suffisante de généralités, donc d’imprécision. Il serait absurde de vouloir former des ingénieurs « de maintenance » ou des ingénieurs « de bureau d’études », car précisément les circonstances – imprévisibles – de la carrière se chargeront d’orienter l’ingénieur en dépit de toutes les aspirations de l’époque des études … Les différents grades d’ingénieurs peuvent être obtenus dans des disciplines diverses (mécanique, chimie, métallurgie, etc.), ces orientations sont nécessaires mais moins déterminantes que l’on pourrait le croire. Citons, à propos de cette multiplicité des formations, un point de vue patronal. Remarquant que le nouveau grade d’ingénieur industriel ne remplace pas les anciens grades académiques d’ingénieur agronome, d’ingénieur civil, d’ingénieur technicien, malgré certaines tentatives en ce sens ( … ), l’organe de la Confédération nationale de la Construction (La Construction, 1981-12-11) estimait: c’est peut-être heureux, les responsables des entreprises et des administrations (disposent) ainsi d’un large choix de formations du plus haut niveau, pour le recrutement de leurs cadres. Cette citation me permet de passer au point suivant.

2.1.2. – L’ingénieur est un cadre

« Interlocuteur social », chargé d’établir des communications, l’ingénieur est un cadre. Nous avons distingué les communications horizontales et verticales. Pour faciliter la description par le recours à un schéma, mais il va sans dire que, pas plus que l’opposition entre conception et intervention, l’opposition horizontal-vertical n’est ici absolue.

Par communication horizontale nous entendons les communications qui ont un contenu essentiellement informatif (référentiel pour reprendre la terminologie des linguistes depuis Jakobson). L’ingénieur informe simplement: il rédige brevets et notices techniques, il expose des résultats, il explique des fonctionnements. La communication est neutre, purement rationnelle, sans aucune affectivité.
Il ne s’agit pas de convaincre mais d’exposer. N’importe quel ingénieur est évidemment amené à poser ces actes de communication horizontale, mais ils prennent une part considérable de l’activité professionnelle chez l’ingénieur de documentation, l’ingénieur de normalisation et l’ingénieur technico-commercial (qui peut d’ailleurs être ingénieur de vente ou ingénieur d’approvisionnement).

Rechercher sur le site

Rechercher