1984 – 7(1)

Au moment où l’Académie de Rouen propose son sujet de prix, l’affinité chimique – c’est-à-dire le terme et surtout la notion, entendue comme tendance à l’union de deux substances – l’affinité chimique est une question à la mode qui a derrière elle une déjà longue histoire. Pour notre propos, il conviendra seulement de remonter à l’œuvre de Newton. Ce dernier, dans plusieurs textes (De Natura Acidorum, lettre à Robert Boyle, Question XXXI de l’Optique, Scholium General des Principia et fin du Livre I … ) reprit la vieille idée d’affinitè exprimée par les sympathie-antipathies des anciens, pour expliquer les phénomènes d’actions à petites distances, phénomènes dont les réactions chimiques sont un cas particulier. Il lia d’une manière difficilement dissociable après lui, cette idée ancienne à la nouvelle notion d’interaction à distance. Mais dans le cas qui nous occupe ici, interviennent des petites distances d’où quelques différences entre ces forces et celles qui régissent les phénomènes de la mécanique céleste.

Grâce à ce « pas » franchi par Newton et ses disciples immédiats, la notion d’affinité a pu accéder au statut de concept scientifique; notion intuitive représentée maintenant par une grandeur mesurable et mathématiquement formulable (c’est-à-dire une force d’interaction particulaire).

Cette idée et son interprétation «mathématique » sont peu apparentes chez Boerhaave, mais elles sont nettement développées dans l’œuvre de P. van Musschenbroek, l’un des maîtres de Jean-Philippe de Limbourg. En revanche, elles sont rejetées, comme tout le newtonianisme et les tentatives faites pour construire la chimie sur les fondements d’une branche de la physique, par le chimiste fougueux qu’était G.F. Rouelle, un autre maître de notre héros. Toutefois, l’école empiriste dont Rouelle était le champion en France utilisait la notion d’affinité, et le terme lui-même, sans y attacher l’idée d’attraction.

Ainsi, la Dissertation sur les affinités chymiques se situe dans une ligne de recherche importante de la chimie du milieu du XVlllème siècle, à laquelle se rattachèrent tout à la fois les chimistes physiciens, disciples de Newton et les chimistes empiristes, disciples de Stahl et le plus souvent tout au moins pour les francophones, élèves de G.F. Rouelle.

La notion d’affinité – tendance à l’union et maintien de l’union de deux substances -, et le mot lui-même exprimant cette tendance, existaient déjà depuis longtemps dans la littérature chimique. A son sujet, les chimistes étaient partagés entre deux directions opposées: soit considérer que l’union se fait entre des corps « contraires » sous forme d’un combat; soit admettre que l’union d’établit entre des corps possédant entre eux une « affinité » de ressemblance, suivant le vieux principe de similitude ou d’identité qu’on peut énoncer ainsi: le semblable s’attire et s’unit à son semblable.

En 1758, le sujet des affinités est très à la mode, la préoccupation de l’Académie de Rouen en témoigne.

Il y a quarante ans déjà que la première « table d’affinités » a été publiée par E. Geoffroy sous le titre bien connu « Table des differents rapports observés en Chimie entre différentes substances ». Il faut remarquer que le mot « affinité » ne fut employé par Geoffroy que deux ans plus tard, toutefois, dès 1718 il s’agit bien de la notion d’affinité signifiée par le terme « rapport » [[ Etienne Geoffroy, « Table des différents Rapports observés en Chimie entre les différentes substances », Histoire et Mémoires de l’Académie Royale des Sciences pour 1718, Paris, 1720, H. Stoire, p. 99, Mémoire, p. 202-212 et « Eclaircissements sur la table insérée dans les Mémoires de 1718 concernant les Rapports observés entre différentes substances « , Hist. et Mém. de l’Ac. Royale des Sciences pour 1720, Hist., p. 32, Mém., p. 20-34. ]].

Etant donné l’importance de ce premier modèle auquel vont se référer tous les auteurs ultérieurs, dont Limbourg, il convient de s’arrêter un peu à la table de Geoffroy. Décrivons-la rapidement.

La table elle-même se présente sous forme d’un tableau de classement à deux entrées (horizontale et verticale), dans lequel les substances sont représentées par leurs symboles empruntés aux alchimistes. Elle est précédée d’une introduction explicative.

Le fondement empirique de l’ensemble est l’observation des réactions au cours desquelles une substance s’élimine par précipitation ou dégagement gazeux: double décomposition par action d’un acide, d’une base ou d’un sel sur un autre sel; déplacement d’un métal par un autre dans une solution saline. L’idée qui préside à l’établissement du classement est la suivante: si un corps C, qui a de l’affinité pour le corps A, est mis en présence du mixte AB et qu’il s’en suit la combinaison AC – observée en général par la précipitation de AC -, on en déduit que C a plus d’affinité pour A que B n’en a pour le même corps A [En utilisant le formalisme actuel nous écrivons: C + AB ]. Geoffroy énonce ainsi cette régle générale qui va servir de référence à tous les auteurs ultérieurs:

« Toutes les fois que deux substances qui ont quelque disposition à se joindre l’une avec l’autre, se trouvent unies ensemble; s’il en survient une troisième qui ait plus de rapport avec l’une des deux, elle s’y unit en faisant lâcher prise à l’autre »[[ Etienne Geoffroy, Hist. et Mém …. pour 1718, p. 203. ]] .

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