1982 – 5(3/4)

Dans la marge gauche, Ibn Butlãn a placé de façon sporadique et en regard de l’article auquel ils se rapportent de courts textes qui fournissent des indications astrologiques: ils donnent les circonstances, favorables ou défavorables, à l’usage de l’article traité. Rappelons ici qu’elles ne sont pas intégrées au cadre des tables puisqu’elles figurent dans une marge.

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Fig. 2. – Premier folio du « Tacuini Sanitatis » : représentation d’Ibn Butlan et liste des abréviations qui désignent les médecins les plus fréquemment cités dans le traité. Liège, Bibliothèque générale de l’Université de l’Etat, Ms. 887 (1041).

L’ouvrage comporte un autre classement que celui qui est fait en tables et en articles: il s’agit d’un classement par sujet. C’est en fonction de ce dernier qu’est établie la table des matières.

Cette méthode de disposer les données en tables qu’Ibn Butlãn a introduite dans la littérature médicale répondait parfaitement au besoin pratique pour lequel elle avait été conçue: un des buts d’Ibn Butlãn était de simplifier et de condenser la vaste littérature consacrée à la diététique et à l’hygiène considérées dans l’optique de la conservation de la santé. En effet, les tables synoptiques, grâce à leur présentation simple et claire forment un ensemble aisé à saisir, pratique et rapide à consulter. Dans ce domaine, Ibn Butlãn a certainement atteint son objectif.

Nous pensons cependant qu’Ibn Butlãn avait un autre but, un but social, que l’introduction du Taqwim al-sihha met en évidence. Ibn Butlãn écrit en effet en justifiant son choix d’une présentation inhabituelle : Nous ordonnerons cela en tables parce que le public est lassé des longs développements des savants et de la multiplicité des livres écrits à ce sujet. Plus loin, il montre que le choix de sa méthode a été dicté par sa volonté de communiquer au public ses idées sur l’hygiène et la diététique car ce que le public demande aux sciences c’est leur aide, et non des preuves et des définitions.

Nous pensons que le but d’Ibn Butlãn en choisissant de s’exprimer dans des tables était non seulement pragmatique mais aussi social: il voulait rendre l’hygiène et la diététique accessibles au grand public et a trouvé dans cette forme de présentation le véhicule le plus adéquat à la transmission des connaissances.

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Fig. 3. – Table du XVII du « Tacuini Sanitatis » : les poissons frais. Liège, Bibliothèque générale de l’Université de l’Etat, Ms. 887 (1041).

Le rôle social de l’hygiène et de la diététique chez Ibn Butlãn apparaît plus clairement encore si on procède à une comparaison avec la tradition grecque et romaine en ce domaine, tradition dont a hérité la médecine arabe: dans l’antiquité, les traités d’hygiène et de diététique restaient le privilège d’un groupe social tandis que la plus grande partie de la population restait à l’écart de toute forme de médecine préventive.

Ainsi Hippocrate réserve un régime nouveau à une élite: Pour ceux qui en ont les moyens et qui ont reconnu que les richesses ni rien d’autre n’ont d’utilité sans santé, j’ai découvert un régime qui s’avance le plus près possible de la vérité absolue (Hippocrate, 1967). De même L’Hygiène de Galien fut écrite pour l’intelligentsia. Les pensées qui lui venaient à l’esprit à Pergame (175 ap. J.C.) quand, médecin de l’Ecole des Gladiateurs, il traversait les salles de l’hôpital d’Asclépios au sommet de l’Acropole, étaient destinées à la minorité privilégiée … Telle fut l’attitude de la plupart des gens jusqu’à la Renaissance et même plus tard (Brockington, 1965).

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