1979 – 2(1)

L’archéologie industrielle est-elle une science?

Il est indéniable qu’il existe, chez les « archéologues industriels », une volonté d’action et d’efficience qui dépasse peut-être la dose habituelle d’activisme chez l’homme de science. Ce qui fait que l’archéologie industrielle n’est pas exclusivement un domaine d’études mais, aussi, et même surtout pour d’aucuns, un terrain de revendications centrées sur la conservation de monuments et de sites. Les motivations idéologiques ne sont pas toujours claires, et ce n’est pas notre propos de les analyser ici, nous ne nous intéressons dans cette note qu’au versant « académique » de l’archéologie industrielle. Mais il n’était peut-être pas inutile de signaler au passage que ceux qui, dans ce domaine, veulent conserver, ne sont pas toujours forcément conservateurs. Ce n’était peut-être pas inutile d’autant plus que s’ajoute à cet élément idéologique un trait qui contribue aussi à brouiller les cartes de l’épistémologue. Comme l’a noté Raistrick (1972): « an aspect of the subject that in some degree explains the difficulty of its definition: that, according to the temperament of the individual, it could be regarded either as an academic subject, or as an agreeable hobby». L’archéologie industrielle, pratiquée donc comme un passe-temps par les uns, comme un moyen de transformer ce monde qu’il ne s’agit plus de connaître par les autres, discipline en quelque sorte indisciplinée, lui reste-t-il encore assez de substance pour constituer une science autonome et ayant droit de cité dans l’édifice du savoir humain? L’archéologie industrielle, même débarrassée de ses aspects ludiques ou propagandistes est-elle une science?

L’archéologie industrielle est une science auxiliaire

La réponse à cette question est évidente si l’on veut bien résumer les étapes du travail de l’historien. D’abord rassembler les sources (heuristique) qui peuvent être des documents écrits (philologie sensu lato) ou figurés (archéologie). Après la critique de ces documents et après les avoir restitués dans le temps (chronologie), il est possible d’écrire l’histoire, et cela quelles que soient les époques: de l’archéologie préhistorique à l’archéologie contemporaine[[ Archéologie contemporaine peut surprendre, mais l’on s’est fait à archéologie industrielle, pourtant plus ambigu. Si l’on projette une histoire contemporaine, il importe d’abord d’en rassembler, d’en conserver et d’en critiquer les sources. Ce sera la tâche de l’archéologie contemporaine pour les sources non écrites (tâche qu’il sera difficile de circonscrire pour les documents audio-visuels si caractéristiques de notre temps). Les publicitaires font de l’archéologie contemporaine sans le savoir quand ils présentent leurs produits, en en exaltant le caractère sophistiqué et ultra-moderne par comparaison avec des produits homologues « vieillis ». Voir, pour ne prendre qu’un exemple, la couverture de l’Annuaire officiel Belge des Téléphones de 1978-79 qui montre en photos superposées trois postes téléphoniques: un très ancien modèle en bois et cuivre, un modèle déjà « dépassé » avec cadran d’appel rotatif, et le modèle récent à clavier]]. L’archéologie industrielle (ou archéologie moderne comme disait Cossons dans la phrase citée ci-dessus, ou encore, comme le disait un autre anglais [[ P. Riden (1973), cité par van den Abeelen (1973).]]: post-post-medieval archaeology) est ainsi une science auxiliaire de l’histoire de la période industrielle. Ce qui implique nécessairement une limitation sévère des ambitions de cette spécialité dans le cadre du projet scientifique total : chercher, conserver, décrire, interpréter des monuments, ce qui n’est qu’une étape (essentielle évidemment) dans le chemin vers la connaissance, et l’archéologue industriel qui voudrait aller plus loin, qui formerait le projet par exemple de comprendre les interactions entre les structures matérielles révélées par les vestiges et les structures sociales et économiques ferait plus que de l’archéologie industrielle. Il ferait de l’histoire, mériterait le nom d’historien, et l’on ne voit pas pourquoi un historien des XVIIIe et XIXe siècles ou même du XXe siècle devrait être appelé autrement qu’historien.

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