1985 – 8(1)

Pour mesurer la diffusion de ces textes, il faut d’abord les dater. Or, à l’inverse des papyrus documentaires, les papyrus littéraires et sublittéraires sont le plus souvent dépourvus d’indications chronologiques. On doit donc utiliser des critères de datation externes (matériau, forme, écriture) et internes (les médecins cités, la théorie médicale exposée). Ceci posé, il ressort que les premiers papyrus médicaux sont datés du IV/ IIIème siècle avant notre ère. Comme tous les papyrus littéraires, ils atteignent leur plus grande fréquence aux IIème et IIIème siècles, peut-être suite à l’essor donné à la littérature grecque sous le règne des Antonins (Montevecchi, 1973). Les derniers papyrus médicaux sont datés du VIIème siècle.

Quant à la destination, il est possible de la déduire de l’aspect extérieur des papyrus et de leur contenu. Ainsi, on peut considérer comme des restes d’exemplaires de bibliothèque les fragments de rouleaux qui contiennent des traités et des recueils de recettes, et les pages de codex qui conservent surtout des fragments de traités, d’encyclopédies et de réceptaires. Il est plus difficile de classer les petits fragments uniquement écrits sur le recto. En revanche, les prescriptions notées sur les ostraca (tessons de poterie) et sur des versos de documents devaient être réservés à l’usage personnel.

La deuxième étape du travail, qui est actuellement en cours, consiste dans l’édition critique de l’ensemble des textes, avec traduction, commentaire lexical, philologique et médical. On peut alors restituer certains papyrus en les rapprochant de documents de même nature (Marganne, 1978), identifier des fragments d’auteurs en comparant le texte des papyrus avec les œuvres des grands médecins de l’antiquité (Marganne, 1980, 1981) ou encore déterminer leurs sources (Marganne, 1982).

Ces textes abordent des matières aussi variées que l’anatomie, avec des traités sur la dénomination des parties du corps, sur les os, sur les « nerfs », sur l’appareil digestif, la pathologie, dans des traités sur les fièvres, sur l’« éléphantiasis » (qui désigne probablement, au IIème siècle de notre ère – date du papyrus -, la lèpre), l’apoplexie, la « sciatique », la cryptorchidie, les affections gynécologiques, la dysurie, la constipation, la calvitie, la pharmacologie, qui comprend la matière médicale (y compris les herbiers) et d’innombrables recettes, la diététique, c’est-à-dire l’équilibre à observer entre les exercices physiques et le régime, la chirurgie, avec des traités sur son enseignement et sur des opérations comme celle du coloboma (fissure congénitale de la face), ou comme différentes réductions de la luxation de l’épaule et de la mâchoire, l’ophtalmologie, avec des traités sur la sécrétion de chassie, sur le « glaukoma » (qui désigne un ensemble d’affections caractérisées par une pupille devenue gris bleu) (Marganne, 1979), sur le ptérygion [[Le ptérygion se caractérise par un « voile conjonctival triangulaire, tendu de l’angle interne de l’œil à la face antérieure de la cornée, ayant souvent tendance à s’étendre vers le centre de celle-ci » : voir J. Hamburger [préf.], Dictionnaire de médecine, Paris, Flammarion, 1975, p. 616, s‧v. ptérygion. ]], le staphylome [[Le staphylome se caractérise par une « ectasie ou distension d’une partie de la paroi du globe oculaire » : voir Dict. méd. Flammarion, p. 685, s‧v. staphylome. ]], la fluxion (écoulement d’humeurs) des yeux et son traitement, d’autres domaines moins bien représentés, comme la déontologie médicale, le genre encyclopédique, etc.

Lorsqu’on examine ces différents domaines, il apparaît, de prime abord, que la pharmacologie occupe une place prépondérante, puisque plus de la moitié des papyrus contiennent des recettes. Doit-on en conclure que, déjà à l’époque, les gens usaient et abusaient des médicaments, et ce, pour les affections les plus variées ?

Les autres papyrus se répartissent en traités théoriques, manuels d’enseignement et aide-mémoire personnels. Les traités n’exposent pas une médecine provinciale sclérosée, mais une médecine de pointe, bien informée des découvertes récentes et accueillante à l’innovation.

Par exemple, en chirurgie, un papyrus conservé à l’Université de Gissen (I.A. 186), daté du Ier siècle avant notre ère, contient le témoignage le plus ancien (antérieur d’un siècle à celui de Celse) sur l’opération du coloboma. Il est également le seul témoin antique de la chirurgie du coloboma siégeant aux lèvres. Un papyrus de Londres (I.A. 103), du IIème siècle de notre ère, décrit quatre méthodes absolument originales pour réduire une luxation de la mâchoire, et ces procédés font appel aux ressources nouvelles de l’appareillage alexandrin.

Très différents des traités théoriques, les manuels d’enseignement sont surtout représentés par les questionnaires et par les recueils de définitions médicales. Contrairement aux précédents, ces manuels ne proposent jamais une science médicale de pointe qui présenterait des innovations, mais ils adoptent une sorte de moyen terme entre les théories existantes. Devenue classique, leur doctrine alimentera la médecine du moyen âge, aussi bien orientale qu’occidentale.

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