Jabir Ibn Hayyan (fin du VIIIème et début IXème siècle) compléta cette théorie des quatre éléments en supposant que les métaux résultent du mélange du soufre et du mercure.
Les alchimistes, ayant adopté la théorie des quatre éléments, rejetèrent par conséquent l’atomisme. Ce rejet est dû, en grande partie, au fait que selon lui, les atomes n’occupent pas toute la structure matérielle mais sont séparés par du vide. Or la notion de vide est exclue. Par ailleurs, il aurait été pratiquement impossible de remplacer le dogme des quatre éléments par une théorie qui admette plus de quatre espèces d’atomes.
Ce n’est qu’à la Renaissance, en Italie, qu’on a réalisé, timidement d’abord, qu’il fallait à nouveau se tourner vers la nature et donc se livrer à de nouvelles observations et à de nouvelles expériences. En se sens, l’humanisme amena, dans les sciences expérimentales comme dans les sciences exactes, à porter un regard neuf sur des problèmes anciens et à ne plus se satisfaire de répéter les arguments scolastiques.
C’est Paracelse (ca. 1493-1541) qui illustre le mieux ce passage de l’alchimie à la chimie: chez lui la pensée du moyen âge côtoie celle de l’humanisme. Il ajouta aux quatre éléments trois principes: le soufre, le mercure et le sel.
Au XVIIème siècle la méthode inductive commença à imposer son impact aux études de chimie. Van Helmont (1578-1644) introduisit la notion d’un « principe venteux » qu’il appela « gaz » et refusa à la fois les quatre éléments et les trois principes de Paracelse.
La chimie continuait à se détacher de l’alchimie et c’est au moment où la scission était presque complète, à la fin du XVIIème siècle, que l’atomisme trouva un second souffle avec Robert Boyle (1627-1691) et sa philosophie mécanique. Pour lui, ce sont la forme, les dimensions et les mouvements des atomes qui déterminent le type de substance.
Newton (1642-1727) contribua à promouvoir la théorie atomique: s’il ne fit personnellement aucune découverte en chimie, ses théories sur les forces interparticulaires et sur les relations attractives ou répulsives en leur sein ont joué un rôle de première importance dans l’histoire de la chimie.
Lucia de Brouckère évoque en quelques traits les contributions des chimistes dans ce qu’elles ont d’essentiel pour l’établissement de leur discipline sur des bases expérimentales: Geoffroy l’Aîné (1672-1731) et sa table d’affinités; Boscovich (1711-1887) et sa nouvelle conception de la structure de la matière qui s’oppose à celle de Newton; Herman Boerhave (1668-1738) dont les Elementa Chemia restèrent longtemps une autorité; Stahl (1660-1734) qui contribua à l’élaboration de la théorie phlogistique.
D’autre part, l’ouvrage analyse les recherches qui, après celles de Van Helmont, ont permis au XVIIIème siècle les progrès de la chimie pneumatique: il s’agit notamment des travaux de Stephen Hales (1677-1761), Henry Cavendish (1731-1810) et Carl Scheel (1742-1786).
C’est néanmoins avec Lavoisier (1743-1794) que la chimie connut sa véritable révolution. L’ouvrage lui accorde une place primordiale et expose brièvement et clairement ses contributions essentielles: son rejet, sur base expérimentale, de la théorie du phlogistique; sa distinction entre « masse » et « masse spécifique », entre « chaleur » et « chaleur spécifique », entre « corps simple » et « élément » ; sa théorie des calcinations et des combustions; sa conception de métaux comme « substances simples ».
Une synthèse de la théorie d’atomisme chimique de Dalton (1766- 1844) termine l’ouvrage: on lui doit une nouvelle définition des éléments selon laquelle leurs propriétés sont liées au poids atomique; un système de symboles chimiques pour les éléments et les composés; une théorie de la structure moléculaire et de la dissolution du gaz.
Il faut rendre hommage à la clarté de l’exposé, à la simplicité que l’auteur a su garder dans une matière complexe, à la rigueur scientifique que cette volonté de clarté et de simplicité n’a pas altérée.
Lucia de Brouckère se proposait de compléter son traité en consacrant une deuxième étude au triomphe de l’atomisme et à ses transformations après la découverte de la radioactivité. Il est de première importance que d’autres savants se penchent sur l’histoire de leur discipline pour offrir aux étudiants de candidature une bibliothèque épistémologique qui s’adresserait, selon le vœu même de Lucia de Brouckère, autant aux humanistes qu’aux scientifiques.
Cet ouvrage est le dernier qu’aura composé Lucia de Brouckère: elle a en effet été brutalement emportée le 3 novembre 1982. Née en 1904, elle avait obtenu en 1927 son doctorat de chimie à Université libre de Bruxelles. C’est dans cette université qu’elle a mené parallèlement une carrière de recherche et d’enseignement.
Que les lecteurs veuillent bien considérer ce compte rendu comme un hommage rendu à la mémoire de cette grande dame de la science.
H. Elkhadem