Il faut rapprocher des Tacuini latins un volume du XVème siècle (Bibliothèque Nationale, Paris, 11231 fonds latin) qui contient un herbier et un antidotaire intitulés respectivement Herbularium magistri Cristiani et Antidotarium magistri Cristiani de Prachaticz. Ils sont composés selon la même méthode que Tacuini Sanitatis.
Ainsi le Taqwim al-sihha offre un tableau complet de la transmission des sciences: porteur d’une part de l’héritage grec, il a contribué par son succès à le faire connaître au monde arabe en même temps qu’il livrait son propre message. Puis, traduit en latin, il a constitué pour le moyen âge occidental une source de valeur. Enfin, publié en latin dès le début du XVIème siècle, il a presque immédiatement été traduit en langue vernaculaire.
Les théories qu’Ibn Butlãn expose dans les canons et dont il rassemble les applications pratiques dans les tables trouvent leur origine dans la médecine grecque. Comme toute la médecine arabe le Taqwim al-sihha repose pour ce qui est de la physiologie sur la théorie des quatre humeurs. Cette théorie fut pour la première fois systématiquement exposée dans le traité hippocratique De la Nature de l’Homme. L’origine de cette théorie doit être recherchée dans le système philosophique d’Empédocle (Vème siècle avant J.-C.) qui faisait des quatre éléments la racine de tout [[ Diels (1934), fgt. 6.]] . La répartition proportionnelle des quatre humeurs dans le corps détermine l’état de l’organisme: la santé résulte de l’équilibre entre les quatre humeurs et inversement tout déséquilibre est créateur de douleur ou de maladie.
L’organisme de chaque individu est dominé par une humeur donc par la combinaison de deux qualités; cette dominance détermine le tempérament de chacun. Il existe huit tempéraments auxquels il faut ajouter le tempérament équilibré.
Cette théorie des tempéraments, déjà partiellement élaborée dans le Corpus hippocratique fut développée et analysée par Galien [[ Surtout dans De Temperamentis, notamment l, 511-518]]; elle connut un très large succès: transmise aux médecins byzantins et arabes, traduite du grec et de l’arabe en latin, elle s’imposa jusqu’au- delà du moyen âge.
Dans ce système, en cas de maladie, le médecin doit:
- analyser les causes du déséquilibre entre les quatre humeurs,
- déterminer le tempérament du patient,
- évaluer avec précision les qualités de chaque élément susceptible
d’intervenir dans le traitement.
Soigner, c’est rétablir l’équilibre en administrant une substance – aliment, boisson, remède – qui présente les caractéristiques opposées à celles de l’humeur qui fait défaut selon le principe contraria contrariis (Ullmann, 1978).
Le Taqwim al-sihha répond parfaitement à ce besoin puisqu’il analyse en qualité, degré et effet chacun des éléments dont il traite. De ce fait s’élabore la théorie de l’aliment médicamenteux et du médicament alimentaire.
Il faut encore prendre en considération les six causes qui peuvent avoir un effet déterminant sur la santé. Il s’agit selon Galien[[ Ars Medica, XXIII.]] de l’air ambiant; du mouvement et du repos; du sommeil et de la veille; de ce qui est ingéré; de ce qui est expulsé ou retenu; des états psychologiques. Cette liste fut intégralement reprise par les médecins arabes qui qualifièrent ces six causes tantôt de naturelles tantôt de non-naturelles. Ibn Butlãn, comme Galien, ne les qualifie ni de naturelles, ni de non-naturelles.
Le Taqwim al-sihha est aussi un reflet fidèle de son époque: le XIème siècle. Il a assimilé l’héritage grec que lui ont livré les siècles précédents; mais la médecine, si ses bases sont restées grecques, a acquis son indépendance et se développe en toute originalité quant au fond et quant à la forme. Ce siècle est marqué par l’influence qu’exercent sur lui d’une part al-Rãzĩ (ca. 240/854 – 312/924) et d’autre part Avicenne (370/980 – 429/1037).