1989 – 12(1)

L’inventeur du Componium

Il y a quelque chose de choquant dans la littérature, quelque chose de douloureux et d’injuste, à ce que le nom de Diederich Nicolaus Winkel soit à peu près oublié.

D. N. Winkel est né à Lippstadt (Westphalie) en 1777. Nous avons retrouvé dans les registres de l’Etat civil de cette cité son acte de baptême. Vers 1800, il quitte Lippstadt et s’installe à Amsterdam. Les raisons de ce départ demeurent inexpliquées. En 1804, Lippstadt ne comptait guère plus de 2961 habitants. Son exil coïncide peut être avec la création du royaume de Westphalie par Napoléon, en faveur de son frère Jérôme. Ce Royaume, rappelons-le, sera anéanti en 1813, et officiellement supprimé en 1814-1815, lors des Congrès de Vienne. Pour de nombreux artisans allemands, la tentation de s’installer dans les grandes métropoles comme Amsterdam était forte. Les Pays-Bas drainèrent des flots importants de l’immigration, laissant de nos jours des traces dans l’anthroponymie néerlandaise.

A Amsterdam, Winkel s’installe comme « fabrikant en steller van muziek trumenten ». L’essentiel de ce que nous savons aujourd’hui de ce personnage nous est livré par son dossier de succession, dont nous avons retrouvé la trace dans les minutiers amstelodamois. Acte de décès, contrats immobiliers, procurations, inventaires de succession, décompte et liquidation, ainsi que d’autres documents concernant cet inventeur et ses travaux, ont été publiés dans la première partie de notre étude (115 documents originaux en allemand, anglais, français et néerlandais). D.N. Winkel est mort à Amsterdam, le 18 septembre 1826.

Jusqu’en 1870, il était admis que le seul instrument de Winkel qui ait été conservé était le Componium. Seuls quelques témoignages de contemporains attestaient l’existence d’autres instruments automatiques du même facteur. Au cours des dernières années, plusieurs orchestrions de Winkel ont été découverts. Deux d’entre eux se trouvent aujourd’hui dans les collections du musée Van Speelklok tot Pierement, à Utrecht, et un autre au Gemeentemuseum de La Haye. Bien que ces instruments soient moins prestigieux que le Componium, ils dénotent toujours d’une très grande originalité de la part d’un esprit particulièrement inventif.

L’affaire du métronome

D’autres témoignages, relevés notamment dans la presse musicale de l’époque, laissaient entendre que Winkel fut l’inventeur du métronome, invention que l’on attribue traditionnellement à un mécanicien autrichien : Johann Nepomuc Maelzel (1772-1838). Grâce à des documents d’archives, nous avons pu faire toute la lumière sur cette affaire et lui consacrer un chapitre dans notre étude.

Il est inutile de surcharger cet exposé par une description du métronome pyramidal que l’on voit trôner sur tous les pianos et qui, aujourd’hui encore, ne paraît pas en déchoir [[Sur le metronome, ses perfectionnements et son usage, voir principalement: J.T. HARRISON, A New Metronome, dans Proceedings of the Musical Association, t. XX/4, 1893, p. 23-sv; Z. DRECHSEL, Geschichte des Taktmessers, dans Zeitschrift für Instrumentenbau, t. XLVI, 1926, p. 948; R. E. M. HARDING,The Metronome and its Precursors. Origins of Musical Time and Expression, Londres, 1938: W. GEORGI,Das Metronom als Freund, dans Klavierspielerbüchlein, Zurich, Freibourg,1953; F. GOEBELS, Von sinnvollen Gebrauch des Metronoms, dans Musik und Unterricht, t. XLIX,1958, p. 5-sv.; et sur les metronomes de Maelzel en particulier: Allgemeine Musikalische Zeitung, t. XIX/25, 18 juin 1817, col. 417-422; The Quarterly musical Magazine and Review, Londres, t. III, 1821, p. 302; t. VI,1824, p. 31-33; Revue musicale, Ire série, t. II, Paris,1828, p. 361-364; The Harmonicon, t. XI, Londres, mai 1833, p. 96-97. ]]. L’affaire de la controverse Winkel-Maelzel à propos du métronome remonte à l’année 1814. A cette époque, Winkel s’était penché sur le problème de la mesure du temps musical, en proposant une alternative aux nombreux chronomètres musicaux qui avaient précédés. Ceux-ci étaient soit trop compliqués, soit trop dispendieux, soit incommodes. Winkel conçut alors le prototype du premier chronomètre à balancier inversé, c’est-à-dire muni d’un contre-poids qui permettait de raccourcir la longueur du pendule. Cet inconvénient était particulièrement sensible dans les mouvements musicaux lents. Le prototype du métronome de Winkel- en réalité le « chronomètre », ainsi que le nommait Winkel- a été conservé et se trouve aujourd’hui au Gemeentemuseum de La Haye (voir fig. 11). En réalité, Winkel présenta son invention aux membres de la quatrième classe du Hollandsch Instituut van Wetenschappen, Letterkunde en Schone Kunsten, à Amsterdam, le 26 novembre 1814. L’Institut lui adressa un rapport favorable, le 14 août 1815.

Or, le 10 mai 1815, une gazette musicale de Leipzig, l’AlIgemeine musikalische Zeitung, annonçait la production d’un nouvelle appareil nommé « Métronome », inventé par le mécanicien viennois Johann Nepomuc Maelzel. Winkel ne se doutait toujours de rien, jusqu’à ce que parut dans le numéro du 18 juin de la même revue, une description complète du métronome, en l’attribuant à Maelzel. Winkel commença timidement à protester, en envoyant une lettre rectificative à la rédaction du journal. Malgré cela, Maelzel n’hésita pas à recueillir à Vienne, le mois suivant, un privilège de huit ans pour « son » invention. L’AlIgemeine musikalische Zeitung tenta de rendre justice à Winkel, mais du bout des lèvres.

En désespoir de cause, Winkel s’adressa à la quatrième classe du Koninklijk Nederlandsch Instituut, héritier du Hollandsch Instituut. Le 15 novembre 1819, il fit don à l’Institut du prototype de son invention, en dénonçant l’imposture de Maelzel. Indignés, les membres de la quatrième classe organisèrent une confrontation … à la demande de Maelzel ! Ce dernier, qui semblait avoir toutes les audaces, vint à Amsterdam « pour défendre ses droits »! Il reconnut finalement qu’il avait vu le prototype de Winkel lors d’une entrevue qu’il avait eue avec l’inventeur amstelodamois, en 1815. Il ne put nier qu’il s’en était inspiré. La part qu’il revendiquait à son bénéfice était la détermination des degrés de vitesse de la machine, en rapport avec les mouvements musicaux. La Commission proposa d’échanger et de signer deux écrits établissant les faits, mais au jour fixé, Maelzel ne voulut point signer, arguant que ses déclarations suffisaient. Maelzel empocha l’affront, mais aussi l’argent, puisqu’il continua à produire ses métronomes qui furent vendus par milliers à travers le monde entier.

Il faut dire que Maelzel n’en était pas à sa première roublardise. Au cours de l’année 1813, il avait eu maille à partir avec Beethoven dont il s’était purement et simplement approprié une œuvre. Au cours de l’année 1812, en effet, sortait des ateliers de Maelzel, à Vienne, un orgue automatique très grande taille, nommé Panharmonicon. Au cours de l’hiver 1812-1813, Maelzel songea à recueillir quelque composition qui pût faire honneur à son grand Panharmonicon. Il lui fallait quelque chose d’inhabituel et de typique. Ses relations intimes avec Beethoven devaient lui donner l’occasion d’accomplir son ambitieux projet. Le compositeur avait admiré le talent de Maelzel. L’un et l’autre étaient arrivés à Vienne au cours de l’année 1792, le premier de Bonn, le second de Ratisbonne. Beethoven avait plus d’une bonne raison de se réjouir de cette amitié : sa surdité gagnant en mal, Maelzel lui procurait les cornets acoustiques dont il fit usage pendant quelques années. Beethoven, répondant sans doute à l’invitation de son ami, accepta d’écrire pour le Panharmonicon, une page symphonique qui commémorerait la victoire de Wellington sur les français, à Vitoria, le 21 juin 1813. Depuis longtemps, Maelzel mûrissait le projet de se rendre à Londres; un tel programme, revêtu d’une signature aussi prestigieuse, lui assurerait incontestablement le succès. Maelzel suggéra cependant personnellement à Beethoven d’en produire une version pour orchestre. Cette dernière fut exécutée en concert le 8 décembre 1813 et, au plus grand étonnement du compositeur, Maelzel revendiqua cette œuvre comme sa propriété. La contestation surgit entre les deux hommes et malgré son renoncement public, Maelzel se rendit à Munich avec son cylindre de Panharmonicon contenant la Bataille de Wellington ainsi que la partition d’orchestre. Le différend s’applanit cependant quelques années plus tard, la Cour de Justice de Vienne s’étant déclarée incompétente.

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Fig. 11
Chronomètre musical de D. N. Winkel. L’instrument porte l’inscription « Erfunden/ van/ d. N. Winkel/ in 1814 den 27 November/zu/Amsterdam ». Gemeente Museum Den Haag, 1132.

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