5. Les artisans et leurs chiens
Ces chiens tournant dans leurs roues sur les plateaux de la Matésine et de Langres ou dans les vallées de la Semoy et de la Goutelle du Massif de l’Ardenne, à quelle espèce pouvent-ils donc appartenir? Il ne semble pas que les artisans aient cherché à utiliser les chiens d’une race bien précise.
En examinant les documents disponibles on peut, à la rigueur, hésiter entre les bassets, les braques, les beagles ou encore les épagneuls-setter, à cause de la morphologie assez longiforme et les oreilles tombantes. Mais, aussi, pourquoi pas des lévriers, rapides à la course? Suderie, maître coutelier à Langres n’a-t-il pas placé son commerce sous l’enseigne « à la levrette » pour rappeler le rôle que pouvait jouer cet animal pour la confection de produits manufactués?
En fait, il semble plus probable qu’une sélection plus ou moins consciente a pu conduire à l’apparition d’un type de chien caractérisé par son poids, sa ligne assez allongée et ses membres relativement courts et forts. En effet, il y avait dans les villages artisanaux des centaines de chiens et si l’on tient compte de la période de reproduction de six mois (période de gestation de soixante-trois jours environ) la durée du renvouvellement du « troupeau » peut être fixée à deux ans.
Il ne suffit pas, toutefois, de trouver un animal apte à exécuter une tache déterminée. Il faut également savoir procéder à son dressage délicat au début car il ne suffit pas que le chien obéisse à un ordre signifiant qu’il doit entrer dans la roue et marcher pour qu’elle tourne, il faut encore pouvoir obtenir de lui l’exécution de la tache assigné durant deux, trois heures, et parfois plus, avant de recevoir la récompense, sa nourriture en l’occurrence.
Le conditionnement obtenu était tel qu’un chien tout en obéissant à un ordre sonore donné par son maître (coup de marteau particulier, sifflement, claquement de langue) agissait ensuite en « automate » réglé sur la durée de la tache à accomplir. Quels pouvaient être les repères temporels du chien? Sons, bruits divers, la lumière? Et s’il n’attendait pas, parfois, l’ordre, à l’issue du temps habituel, pour quitter la roue, sa tentative se trouvait reprimée par l’absence de la récompense.
Ceci étant, les chiens étaient dans l’ensemble bien traités et s’ils couchaient souvent dans la forge (il y faisait déjà chaud) ils étaient assez bien nourris. Il fallait bien qu’ils puissent fournir l’effort nécessaire. Par contre, ceux qui ne pouvaient plus travailler, les vieux, les éclopés, n’avaient pas toujours droit à un traitement charitable.
La Société protectrice des animaux s’est surtout intéressée, vers les années trente de notre siècle, aux chiens faisant mouvoir les roues des ateliers aménagés dans des foires commerciales pour la présentation de la clouterie à main. Les archives de la justice doivent porter les traces de multiples procès qui s’en sont suivis. Il y a bien longtemps qu’il n’y a plus de roues à chien ni de voiturettes à chien. Les premières ont été remplacées par des moteurs électriques, mais en fait elles ont disparu avec l’activité artisanale de l’époque. Les voiturettes à chien, elles ont cédé la place à l’automobile.
Remerciements
Nous devons remercier bien sincèrement les personnes suivantes qui ont bien voulu nous communiquer les documents et les renseignements qui nous ont permis la rédaction de cette note: Jean Anglade, homme de lettres, la Rédaction de L’Ardennais à Charleville-Mézières, Monsieur le Maire de la Commune de Bourdons-sur-Rognon dans la Haute-Marne, Monsieur J. Brandon architecte D.P.L.G., la Direction des Relations publiques et de la Communication du Crédit Lyonnais, le Dr Davidis du Forschungsinstitut du Deutsches Museum à Munich, Monsieur Roger Flamain à Imécourt dans les Ardennes, Monsieur Jean Guibal, conservateur du Musée Dauphinois à Grenoble, Monsieur Alain Katz, responsable de la mémoire coutelière à Thiers, Roger Lecotté, conservateur du Musée du Compagnonage à Tours, Mademoiselle Legros de la Société Centrale Canine, le Service de Tourisme de Michelin et Cie, Jean Magnien, directeur d’école à Nogent, Jacques Payen, directeur du Centre de documentation d’histoire des techniques, Mademoiselle Solal de la Bibliothèque du Conservatoire national des arts et métiers, Madame Dorothée Vernes de la Bibliothèque du Compagnonage, madame Geneviève Veyssière, chef du Service d’information et de Consultation des Archives du Musée national des arts et traditions populaires à Paris.
Bibliographie
Ach. Delamarre « La roue à chien » in « l’Acclimatation » Année 1907 p. 432.
A. Daguin « Nogent et la coutellerie ».
Fougeron de Bondaroy « Description des Arts et Métiers » Neuchâtel 1780 Sté d’Imp. Typographique.
Jean-François Hirsch « Le coutelier », préface de Jean Anglade, Ed. Berger-Levrault, Paris 1980.
Ch. Laboulaye « Dictionnarie des Arts et Manufactures », Paris 1877.
Roger Lecotté et André Desvallées « Métiers de Tradition » imp. Braun, Mulhouse 1966.
Jules Leroux « Léon Chatry, instituteur ». Roman.
Elèves du Lycée Monge Charleville-Mézières 1983.
Camille Page « La coutellerie » H. Rivière Châtellrault 1898.
Jean-Jacques Perret « l’Art du coutelier » présenté le 27 avril 1771 à l’Académie royale des sciences.
Paul Poiré « la France industrielle » Ed. Hachette, Paris 1873.
Gustave Saint-Johanny « La coutellerie thiernoise » F.Thibaud Imp. -Lib. Clermont-Ferrand 1863.